Vol. XXX No. 2 Le seul hebdomadaire de la région publié une fois par mois Le lundi 7 octobre 2019

Octobre

Octobre, subst. masculin (du latin october de octo, huit) - Le dixième mois des calendriers grégorien et julien, le sixième mois de l'année à compter 31 jours et le deuxième mois de l'automne météorologique dans l'hémisphère nord.


Ce numéro

(Mais pas nécessairement dans l'ordre)

Élections (toujours et encore) - 1001 livres et 1001 films - Jean Cocteau - Serge Losique, Georges Pérec et... Simon Popp - Un bulletin de santé - The Marx Brothers - W. C. Fields - Bernard Pivot - Jo Barnais - Les Tontons flingueurs et Invasion of the Body Snatchers - Woody Allen - Antonioni - Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon (et George Raft) - Pierre Lemaître et Couleurs de l'incendie - Woody et les Robots - Mort aux ténors ! - Les frères Coen - La dernière fois - Nosferatu - Chris Hedges - Tarzan - Santo et le démon bleu - John Ruskin et la Bible - Frank Capra - Ernst Curtius - Arthur Buies...

Bonne lecture !


Chroniques


«Encore des chroniques ! Oui , encore. Je voudrais, dès la première page, déconseiller mes lecteurs de les lire. Et cependant...» 

Arthur Buies - Petites chroniques pour 1877, Québec - C. Darveau, 1878.

Note :

Pour les chroniques précédentes de nos correspondants cliquez sur ce lien .
 
 
      Simon Popp

Tout à fait d'actualité
(Plus ça change...)

Voici ce que j'ai écrit l'an dernier à à peu près la même date, soit en septembre 2018. C'était à propos des élections provinciales. Nous en sommes maintenant aux élections fédérales.

Seriez-vous d'accord pour dire que, par rapport aux élections de l'an dernier, il n'y aurait pas grand chose à modifier dans le texte qui suit pour que le tout soit, encore une fois, d'actualité ?

   Souffrage !

J'ai appris tout à fait par hasard il n'y a pas longtemps que nous étions, au moment où j'écris ces lignes en «période électorale». On m'aurait dit que nous étions en une de ces périodes de «plus ça change, plus c'est pareil» que ça ne m'aurait pas plus surpris car, des «périodes électorales» qui n'ont rien changé, j'en ai connues maintes et plusieurs ; des municipales, des provinciales, des fédérales et, si je me souviens bien, même d'élections d'arrondissements, de quartiers, de commissions scolaires  y compris des collégiales car, là où j'ai étudié, on «votait» pour élire des représentants par «classe» (entendez par là des étudiants partageant les mêmes cours ou les mêmes salles où l'on enseignait le latin, le français, la géométrie et même le dessin d'après nature). - À bien y penser, je crois n'avoir connu que des élections où plus ça changeait, plus c'était pareil

La démocratie, telle qu'on la pratique dans ce pays, a de ces visages qui ne trompent pas : elle est en contradiction presque totale avec celle qu'on nous décrit dans les cours d'histoire, de philosophie et même de linguistique. Et n'allez surtout pas me dire que la démocratie de l'ancienne Grèce était... démocratique. À Athènes, tout comme à Rome, il fallait appartenir à une riche famille pour être élu. Et parfois même, on devait «acheter son élection».

Je serais prêt à parier que 95% des électeurs d'aujourd'hui, en France, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis et même ici, au Canada, n'ont jamais VU leur député ou représentant (sauf, par hasard, à la télévision) et que la moitié d'entre-eux ne savent même pas son nom.

Dans un système entièrement démocratique comme le nôtre, on ne choisit pas les candidats dont l'heureux élu nous représentera au municipal, au provincial ou au fédéral. Ce choix est effectué par les membres des partis qui s'affrontent. Et encore : le «cheuf» peut, à n'importe quel moment, vous «parachuter» son candidat dans le comté ou l'arrondissement où vous résidez. - Si vous ne me croyez pas, demandez aux électeurs et même aux membres du Parti Libéral du comté de Marquette en ce moment
(*).

(*) En septembre 2018, le choix du candidat du Parti Libéral de ce comté avait été remplacé par - si je souviens bien - un ex-athlète à la demande du chef du Parti qui avait le droit de regard sur qui pouvait ou devait le représenter dans chaque comté.

Et puis qu'est-ce que c'est que ces «partis» (politiques) ? - Je connais des gens ici, comme aux États-Unis, qui votent pour le même depuis des années, quasiment de père en fils (et de mère en fille depuis qu'on a permis aux femmes de voter et l'on parle pas ici depuis plusieurs siècles mais depuis une douzaine de décennies tout au plus) même si les partis pour qui ils votent ont changé leurs politiques plusieurs fois au fil des ans, parfois d'une élection à l'autre et même entre deux élections.

(Cf. : le Parti Républicain de Lincoln et ceux de Bush, père et fils, et celui de Trump...)

Notre démocratie n'est pas une illusion. Elle est une illusion d'une illusion.

D'aucuns vous diront qu'il faut quand même qu'il y ait une certaine organisation à la base, sinon ce serait un chaos total dans les gouvernements - je répète - municipaux, provinciaux ou fédéraux. Mais alors cessez de nous embêter avec vos élections : laissez aux fonctionnaires le pouvoir d'administrer ce que, de toutes façons, ils sont obligés d'enseigner à ceux «que nous élisons» lorsqu'un, par exemple, un avocat de Saint-Glinglin qui a la faveur du «cheuf» devient ministre des portes, fenêtres et bijoux.

Je ne connais qu'un seul bulletin de vote qui, dans toutes les circonstances, pourrait être valable ou avoir une certain poids dans l'exercice d'une véritable démocratie telle qu'on devrait la pratiquer, ici et de nos jours, et c'est celui sur lequel il y aurait une case qui se lirait : «aucun de ceux-là».

Si 50% + 1 des électeurs allaient faire une croix dans cette case, tout ceux qui figurent sur ce bulletin seraient INTERDITS de se représenter pour cinq ans.

Peut-être que parmi les clowns qui se présenteraient pour le parti X, Y ou Z à des élections quelconques, l'on finirait ainsi par trouver des représentants dignes - je ne dirai pas de foi, mais au moins de confiance. - Et puis le chef d'un parti ne deviendrait pas automatiquement premier ministre, président or whatever : celui-ci serait élu indépendamment. - Et qu'est-ce que vous diriez d'interdire à tous les chefs de parti de se présenter à ce poste ? - Oh, il pourrait toujours démissionner, mais entre la date de sa démission et sa possible élection à l'un de ces postes, il devrait s'écouler six mois. Douze ?

Une dernière condition : tous les gens qui se présentent devant l'électorat devraient détenir un diplôme en sciences politiques ou à tout le moins, avoir démontré une certaine expérience en gestion. Ça éviterait les revendeurs d'auto au poste de ministre de la Justice ou les acocats à celui des Pêcheries. (J'éxagère à peine.)

Faudrait-il ajouter à ce critère de base les obligations de : 1) n'avoir jamais fait faillite plus qu'une fois et 2) ne pas avoir de casier judiciaire (sauf pour conduite en état d'ébriété car, quand même...)

Et puis cinq ans de prison automatique à quiconque est reconnu coupable d'évasions fiscales, d'acceptations de pots-de-vin ou de mensonges à la population.

Tiens, tant qu'à y être pourquoi ne pas doubler les rémunérations de nos députés, ministres, sénateurs, etc. ou, à tout le moins, les élever à un niveau semblable à ceux qui dirigent des entreprises comparables à celles qu'ils auront à diriger.

En attendant, pour qui voulez-vous que je vote sous peu ? Pour ceux ou celles qui tiendront leurs promesses électorales? - L'histoire nous enseigne ques rares sont les promesses qui se réalisent.

Choisissez dans le lot :

Le Parti Québécois, le Parti Québec Solidaire, le Parti Coalition Avenir Québec, Le Nouveau Parti Démocratique du Québec (quoi ? Il y en aurait eu un ancien ?), le Parti Libéral et le  Parti Vert.

(Ajout en octobre 2019) Présentement, au Fédéral, voici la liste des Partis en lice : L'Alliance Nationale des Citoyens du Canada, Arrêtons le changement climatique, Le Bloc Québécois, Le Parti pour la Protection des Animaux du Canada, Le Parti Vert du Canada, Le Nouveau Parti démocratique, Le Parti communiste du Canada, Le Parti conservateur du Canada, Le Parti de l'Héritage Chrétien du Canada, Le Parti de la coalition des anciens combattants du Canada, Le Parti libéral du Canada, Le Parti Libertarien du Canada, Le Parti Marijuana, Le Parti Marxiste-Léniniste du Canada, Le Parti Nationaliste Canadien, Le Parti populaire du Canada, le Parti pour l'Indépendance du Québec, Le Parti Progressiste Canadien, Le Parti Rhinocéros Party, Le Parti Uni du Canada, Le Quatrième front du Canada.

Qu'on nous ramène les Créditistes. Avec eux, au moins, c'était drôle.

***

You Esse Hé ! You Esse Hé ! You Esse Hé !

Je n'ai pas de téléviseur et j'ai découvert, tout à fait par hasard, il y a six ou sept mois, que je possédais quand même un poste de radio, mais peu de temps après, hélas, qu'il ne fonctionnait pas... J'ai cependant trois, quatre, peut-être même cinq ordinateurs (ou  tablettes) ; six, si je compte mon téléphone intelligent qui, en capacité est cent fois supérieur à mon premier ordi... - Et l'Internet.

Je ne m'intéresse pas à la politique, surtout celle dans lequel je vis compte tenu qu'elle n'a pas grand chose à faire avec la démocratie (je ne reviendrai pas là-dessus) et surtout aux «nouvelles».

Quand, au hasard lors des nombreuses rencontres qu'il m'arrive de faire, un individu quelconque ou une belle femme que j'ai remarquée me renseigne sur les dernières foleries des Américains et de leur génial président, il m'arrive de poser quelques questions, mais pas plus ; et je passe dans ce temps-là pour un extra-terrestre ; ce qui est loin du modeste excentrique que je voulais être à mon âge.

Des mariages gais, de l'avortement, de la laïcité et de je-ne-sais-quoi-d'autres, je n'ai rien à foutre. Qu'on me laisse la paix et je vais laisser la paix à ceux qui sont pour ou contre et ceux qui n'ont aucune opinion sur ces cruciaux problèmes SAUF à ceux qui veulent m'imposer quoi que ce soit, exceptions faites des règlements qui ont démontré leur efficacité dans la population at large : les heures d'ouverture des magasins, les feux de circulation, la plupart des limites de vitesse, les pistes pour piétons ou cyclistes, y compris le droit d'aller... voter !

You essé hé, You essé hé, mon c...

*

Bulletin de santé

J'ai le même médecin depuis une trentaine d'années qui, lors de mes examens annuels auxquels je me soumets à toutes les deux ans, me répète invariablement que :

1 - Je devrais cesser de fumer

2 - Je devrais diminuer ma consommation d'alcool

3 - Je devrais perdre du poids.

Ma voisine dit que je me nourris mal ; que le nouveau guide alimentaire canadien auquel je devrai maintenant obéir est supérieur au précédent qui fut trop fortement influencé par l'industrie laitière. Qu'est-ce qu'elle me dit également ? - Ah oui : que je ne fais pas assez d'exercice. (Comme si faire mon lit, la lessive, la cuisine, la vaisselle, épousseter les meubles, y compris le contenu des bibliothèques, passer l'aspirateur, nourrir le chat, sortir les poubelles, faire les courses et.. marcher un, deux, trois kilomètres par jour ne suffisaient pas ! - Peut-être veut-elle que je suive des cours de danse ?)

Vous savez quoi ?

J'ai vécu plus longtemps, jusqu'à présent, que bien des diététistes et spécialistes de la santé. En voici quelques uns dont aucun n'a atteint l'âge moyen que les statistiques nous enseignent à respecter, surtout celles concernant l'âge à laquelle on devrait trépasser :

Ewell
Gibbons
Adelle
Davis
Nathan
Pritikim
Clive
McCay
James
Fixx
Michel
Montignac
Décédé
à
64 ans
Décédée
à
70 ans
Décédé
à
69 ans
Décédé
à
69 ans
Décédé
à
52 ans
(en joggant)
Décédé
à
66 ans

Quand, pour mon permis de conduire, mon médecin m'a demandé il n'y a pas longtemps, si j'avais déjà été hospitalisé, elle a paru surprise quand je lui dise oui. - Quand ? - Il y a une soixantaine d'années. Pour un petit problème du système digestif. - «L'appendicite ?», m'a-t-elle demandé. - «Exactement.» - «Bon. Si ça ne vous fait rien, je vais inscrire "non" sur le formulaire, juste au cas, et si jamais on l'apprend et qu'on vous demande pourquoi vous ne l'avez pas déclaré, vous direz que vous ne vous en souveniez plus.» 

Ne plus m'en souvenir ! Comme si c'était à moi de décider ce qui doit faire partie de ma mémoire permanente. Ou pas. Tenez :

Ce matin en me rasant, j'ai découvert, pour la centième fois, peut-être la cinq centième, qu'au cours de la nuit, j'avais développé une éruption cutanée sur la joue gauche, tout près du menton. - De ce fait, pour la centième fois, peut être la cinq centième, je me suis souvenu du médecin qui m'avait prédit, quand j'avais dix-huit ans, que ces éruptions cesseraient quand j'attendrais l'âge adulte ; l'âge qui coïncidait, à l'époque, avec celle où l'on pouvait consommer tout-à-fait légalement, des boissons distillées (ou fermentées). Ce fut un des deux ou trois médecins qui ont précédé ma courante et qui sont décédés depuis longtemps.

Ce qui m'amène à vous parler de :

La vieillesse

Petit à petit, je commence à savoir ce que c'est que vieillir. C'est une chose qu'on ne découvre pas spontanément. Le cerveau n'a pas de rides et, à ma connaissance ne souffre pas de rhumatisme et, parce qu'on ne le voit pas, on ne sait pas si sa peau n'est pas devenue moins élastique ou si ses artères ont commencé à se bloquer.

Vieillir ? Ça consiste surtout à constater qu'on n'est plus de son temps et qu'il faut conséquemment se taire, ne plus émettre d'opinions et faire semblant que tout ce que font les jeunes - particulièrement dans la quarantaine -, ne doit pas être contesté. Raison : ce sont ceux qui assurent nos retraites.

Et pourtant :

Je crois avoir été relativement sage dans ma vie. - Je n'ai, par exemple, jamais écouté les conseils qu'on me donnait. Par contre, j'ai copié, plagié, pastiché, mimé, calqué, imité les faits et gestes, les tics, les manies et les manières de penser de tous ceux  plus âgés que moi et qui semblaient avoir réussi ; pas réussi financièrement - cela eut été trop bête -  mais réussi à être... heureux.

Dernièrement, ne me demandez pas pourquoi, je me suis surpris à  dire ce que je pensais, de donner en quelque sorte mon opinion surtout sur le fait qu'il fallait copier, imiter, plagier... Ça n'a pas réussi. - À ma décharge, je dois préciser que j'ai commencé à voir de moins de gens, plus âgés que moi, particulièrement dans la catégories de ceux qui sont heureux. - Une question de statistiques : passé un certain âge ou même le mien, on meurt, on tombe malade, on ne veut plus voir personne, on perd la mémoire... 

Mais qu'est-ce que j'ai à vouloir que les autres soient heureux tout à coup ?

Je sais : je n'aime pas voir les autres emprunter des routes qui mènent nulle part.

Le reliquat d'une éducation judéo-chrétienne.

Ce que j'ai oublié d'apprendre, c'est d'écouter en silence et surtout de ne pas mimer quelqu'un qui a l'air de mettre en doute ce qu'on me dit. 

*

Finalement, pour savoir les conseils que je donnerais à un ami qui vient de vendre son premier livre, ne m'interrompez pas sauf si vous avez connu au moins trois écrivains qui ont eu à faire face au fisc.

Simon

P.-S. : Vive les ordinateurs ! Une fois sa ou ses chronique(s) terminée(s), tout écrivain peut immédiatement effacer ses brouillons. Oui, je sais qu'en posant ce geste, les auteurs privent les futurs rédacteurs de thèses démontrant ce que j'aurai voulu ou ce que les écrivains auraient voulu écrire, mais c'est comme ça. Personnellement, j'en ai jusque là de lire pourquoi, dans «À la recherche du Temps perdu» il n'y a qu'un seul animal : le chien de Madame Sazerat.

      Herméningilde Pérec


La langue

Simon se plaint souvent de la langue d'Anatole France, mais il ne me reproche jamais de l'utiliser. Sans doute a-t-il réalisé qu'en vieillissant, j'y suis revenu non pas parce que c'est celle que je parlais quand j'étais jeune, mais c'est celle qui m'est restée après que je m'eusse débarrassé des expressions que j'utilisais à vingt, trente ans et même quarante.

Vous en voulez ? En voici quelques unes :

Minute papillon. - C'est un départ, it's a go. - Vielle branche. - La Main - Copains de la neuille. - Un vrai Valentino. - C'est-y assez fort. - Lui, il connaît ça. - Un vrai deux de pique. - Charabia - T'sais veux dire... - Né de l'autre côté de la track - Où tu t'en vas avec ton traîneau - Saoul comme une botte - Hop-a-laye - Épaisse - Parler comme un charretier - Cassé comme un clou - Diguidou - annuaire téléphonique - Ben intelligent - Haute comme trois pommes - [Les cheveux] coupés en brosse -  Être cool...

Faut dire que les pattes d'éléphant sont disparues de même que les hot-pants et les crinolines. Et qui oserait, aujourd'hui, porter des souliers blancs, des pantalons noirs et un coup-vent rouge ?

Faut dire que je ne me suis pas encore habitué au fait qu'on dise d'un bon artiste qu'il est écoeurant ou que l'on continue de ponctuer ses phrases avec des 'sties (qui peut servir de virgule, de point d'exclamation, d'interrogation...)

Qui lit, de nos jours, San Antonio ? - Pour ma part, le seul que j'ai connu est décédé en juillet dernier.

Les Académiciens diront ce qu'ils voudront (une autre expression courante à mon époque), mais la langue continue d'évoluer.

À+

H. Pérec


       Copernique Marshall


Penser, classer

J'ai pensé à Serge Losique la semaine dernière. Et à Georges Pérec. Et à Simon Popp. À Simon, notamment, qui m'a déjà parlé d'un type qu'il a connu, propriétaire d'une galerie d'art, et qui possédait cent bandes magnétiques de type VHS. Cent plus une, en fait, cette cent-unième servant à enregistrer les films qu'il regardait à la télévision ; si un de ces enregistrements lui semblait intéressant au point où il aurait l'idée de le conserver, il l'ajoutait aux cent autres en en retirant un qui s'y trouvait déjà.

Pérec (Georges, pas le nôtre) a écrit quelque chose de semblable à propos d'un collectionneur de livres qui tenait à ne pas dépasser par addition et soustraction le nombre de 361 romans, pièces de théâtre, essais, biographies, etc. Jusqu'à ce qu'il réalise qu'un livre pouvait en contenir deux ou plus... les oeuvres complètes d'un auteur, par exemple. Alors, il a pensé à 361 auteurs, sauf que certains livres - les romans de chevalerie, par exemple - n'avaient pas d'auteurs alors que d'autres en avaient plusieurs. Alors il a pensé à 361 thèmes, sauf qu'un livre pouvait appartenir à plusieurs thèmes, ou catégories ou genres, tels que définis par un système de classification quelconque comme celui de Dewey... (*) 

(*) L'Humidité, no. 25, printemps 1978, pp 35-38

 

 

Serge Losique ? J'ai pensé à la liste qu'il a compilée des cent meilleurs films à l'occasion du centième anniversaire du cinéma (voir Le Castor™ du 3 septembre 2018 où nous en avons diffusée une copie), la seule liste à laquelle je fais confiance depuis des années, sauf que je me suis toujours demandé sur quelles bases, malgré les explications de quelques un d'entre eux, les auteurs de cette liste avaient décidé que tel ou tel film devait être considéré comme étant un des meilleurs films de tous les temps : un film dont le style n'a jamais depuis sa création été dépassé ? un film qui a fait découvrir à une des personnes consultée ce qu'était le cinéma ? un film qui fut le premier en son genre ?

Sur ce dernier point, je me suis demandé notamment et je me demande toujours ce en quoi - je ne sais pas, moi - L'Avventura de Michelangelo Antonioni (1960) pouvait ou peut bien nous intéresser de nos jours étant donné qu'on en a tourné depuis des centaines du même style ou genre - et des meilleurs que ce chloroforme animé.

(En passant, j'ai emprunté à la bibliothèque de mon quartier Avatar de James Cameron il y a quelque temps. Il était temps, allez-vous me dire, étant donné que ce film date de 2009. - J'en ai regardé quinze minutes. - Un grand film ? - Oui à peu près dans le genre du Titanic du même réalisateur (1997), ce film que Simon a dit qu'il était le Ben-Hur (de William Wyler - 1959) des années quatre-vingt dix. - Que voulez-vous ? Je ne connais rien au cinéma.)

Pour résumer tout ce qui précède, j'ai pensé à tout ce beau monde en me demandant si je devais acheter une nouvelle bibliothèque ou limiter les livres que nous avions à la maison à un certain nombre ou une certaine quantité de pieds ou de mètres cubes.

J'en ai parlé à Simon qui vient au cours des derniers mois de procéder à un élagage gigantesque dans sa bibliothèque. 

«Facile, m'a-t-il dit. Il m'a suffi de retirer de mes étagères tous les livres que je n'avais pas ouvert depuis dix, cinq, deux et même un an. - Tu comprends... ces deux volumes du Théâtre complet d'un lointain Grec que je me disais que j'allais relire... éventuellement ; et que je n'avais pas, même consulté, depuis des lunes...»

Bien dit, que j'ai pensé et, le lendemain, j'étais chez IKEA où j'ai appris qu'on vendait une bibliothèque Billy à toutes les secondes dans le monde entier.

Copernique

       Jeff Bollinger


Math' sup'

Thomas, 16 ans ans cette année, est venu me voir l'autre jour avec un sérieux problème d'arithmétique. «Quel est le résultat de cette addition ?» me demande-t-il.

   348
   226
+ 119
______

   ????

Croyant qu'il s'agissait d'un truc de math' nouvelle ou d'une devinette à laquelle la réponse n'est jamais celle qu'on prévoit, je me suis prêté de bonne grâce à son jeu et j'ai répondu : «693».

«Exact me dit-il, mais en es-tu arrivé à ce résultat ?»

Je lui répondis : «300 + 200 + 100 = 600 .... 

 600 + 40 + 20 + 10  = 670 ...

 670 + 8 + 6 + 9 = 693...

... mais pourquoi tu me demandes ça ?»

«Parce que mon prof' de math m'a dit que je m'y prenais mal ; que je devais faire mes additions non pas pas à partir de la colonne de gauche mais celle de droite en utilisant des retenues.»

«Des retenues ?»

Et Thomas de m'expliquer :

«8 + 6 + 9 = 23. J'inscris 3, je retiens 2 qui représente deux dizaines que j'additionne à la deuxième colonne : 2 + 4 + 2 + 1  = 9 que j'inscris dans la deuxième colonne, en ne retenant rien ; et je termine en additionnant 3 + 2 + 1 qui fait 6 que j'inscris au bas de la dernière, à gauche.»

«Mais c'est beaucoup plus long et beaucoup plus compliqué. Pourquoi tu m'expliques tout ça ? - Ce n'est pas comme ça que je t'ai appris à compter...»

«À cause de mon prof' de math' qui veut que je change de méthode.»

De là, nous avons appliqué la mienne, celle que j'ai apprise bien avant mes dix-sept ans : avec des colonnes de 4 chiffres, puis avec des colonnes de cinq, six et même sept chiffres et, sans retenues, nous avons effectuést tous nos calculs rapidement, avec, toujours, des résultats exacts.

«Et tes copains, en classe, comment calculent-ils ?»

«Oh, ils utilisent des calculettes.»

«Mais comme tu sais compter, fais comme eux.»

Jeff

   Georges Gauvin


On tombe en amour ?

J'ai vu un de ces beaux gars la semaine passée qui m'aurait offert non pas un verre, mais deux et même de m'amener dans sa suite au Ritz pour me séduire que... je serais devenue toute rouge, sauf que je n'aurais pas hésité à dire oui. Assez que, quand mon chum est arrivé, j'en étais encore tout bouleversée. Heureusement, il ne s'en est pas aperçu.

Il m'avait, mon chum, donné rendez-vous dans un bar sur la rue Saint-Denis car nous devions ce soir-là aller voir je-ne-souviens-même-plus-du-titre un  film au Cinéplex dans la petite rue entre Maisonneuve et Ontario.

Quand j'y suis entré, - au bar -, il, le beau gars, était au comptoir, le dos tourné et il parlait au serveur ou lisait ou faisait n'importe quoi. Il s'est retourné, m'a regardée longuement, des pieds à la tête, s'est arrêté sur mon visage puis sur ma jupe plissée depuis le matin et finalement, il a posé ses yeux non pas sur, mais dans les miens. Ça s'est passé en quelques secondes et, dans ses secondes, il m'a complètement vidée.

Et puis, il s'est retourné à nouveau vers le garçon comme si j'avais cessé d'exister et ne m'a plus jamais regardée.

«Coup de foudre, que je me suis dit. C'est comme ça que ça se produit. Un type vous séduit en deux minutes, puis vous abandonne.»

Était-il beau ? Je ne m'en souviens plus. Était-il bien habillé ? Je n'en sais rien. Sportif ? Cultivé ? Musclé ? Était-il chauve, tatoué ? Appartenait-il à une classe de riches armateurs ? Ou était-il pauvre comme un poète ? Avait-il des beaux cheveux ? - Tout ce dont je me rappelle, c'est qu'il était gracieux, calme et, forcément, le plus merveilleux des hommes. 

Et quand, ce soir-là, j'ai fait l'amour avec mon chum, j'ai pensé à lui.

Paraît que ça nous arrive qu'une seule fois dans nottre vie ? Mais alors, pourquoi ? Et pourquoi à mon âge ? Me semble qu'à vingt ans... Oh, peut-être que je me serais levée et que je me serais offerte à lui. Qui sait ?

J'étais belle à ce moment-là sauf que je ne le savais pas.

J'en ai parlé à mes chums de fille au bureau. - L'une m'a dit qu'à seize ans, elle était tombé amoureuse d'un ami de son père et qu'aujourd'hui, il lui arrive encore de penser à lui.

«Moi, j'ai été violée, À quinze ans...» nous a avoué une autre...

Georges

        Fawzi Malhasti


Morceau choisi

(Début)

   Moi j'y étais, dans la salle.
   Alors je suis bien placé pour vous dire comment ça s'est passé.
   Quand je dis : "bien placé", c'est une façon de parler, vu qu'on m'avait refilé un vache de strapontin derrière une colonne...
   Je ne sais pas si vous connaissez la salle du Châtelet ? Elle doit dater de la guerre de 70.
   Il y a des putains de colonnes au milieu de la salle...
   Si vous avez le malheur de tomber sur un de ces fauteuils qui se trouvent derrière, vous êtes obligé d'écarter les cuisses pendant trois heures, de vous tordre le tronc pour bigler le spectacle.
   Enfin, je ne vais pas râler pour la place, vu que j'étais quand même bien content de l'avoir eue...
   C'est Bourgade, le chef des chœurs, qui avait pu me la faire obtenir.
   Pour la "générale".
   Tu parles si je me gonflais !
   C'est pas tellement que j'aime le public de ce genre de soirées, mais j'avais une idée de derrière la tête.
   Je me disais que, parmi tous les caves de journaleux - de soiristes... comme ils disent dans la presse - il y en aurait peut-être un qui citerait mon nom parmi les personnalités présentes. Ça serait vachement agréable, que je pensais, si demain, dans le Figaro ou le Parisien, je lisais :
   "Remarqué dans la salle... Untel, Untel, Untel et... Jo le Baryton."
   La gueule des copains !
   La salle était bourrée.
   J'étais arrivé de bonne heure parce que, ces soirs-là, il y a toujours des resquilleurs qui se faufilent et qui vous grillent votre fauteuil s'ils le voient inoccupé.
   C'était la quatrième opérette de Jean-Jacques Brinès. Un spécialiste du succès et de la musique hispano-américaine. On était sûr à l'avance du résultat : un GROS BOUM.
   Et puis il y avait un atout supplémentaire.
   La rentrée, après deux ans d'absence, du beau ténor Camille Manola.
   C'est vous dire l'élément féminin dans la salle.
   De quoi se marrer, d'ailleurs, car tout le monde sait que Manola est de la pédale.
   Mais allez dire ça à une gonzesse ? Elle ne vous croit pas. Elle s'imagine que vous êtes jalmince du beau ténor au sourire Colgate.
   Folles qu'elles sont les pépées... !
   Au balcon, il y en avait une ribambelle... Des crémières en sortie, parfumées au "Prends-moi ou j'meurs", cinquante balle le flacon, à l'Uniprix.
   Et toutes frétillantes.
   Elles l'attendaient, le beau Manola. Elles étaient prêtes à hurler leur admiration, à lui jeter les fleurs qu'elles arracheraient de leur corsage.
   Je me marrais en douce. Je prévoyais son entrée.
   Je prévoyais tout... sauf ce qui est arrivé.
   Manola ne faisait son apparition qu'au deuxième tableau.
   L'ouverture avait eu son petit succès. Le premier tableau s'était déroulé dans une certaine indifférence.
   On avait admiré le décor et les costumes. C'est tout.
   Tout le monde, sait à l'avance, ce qu'est une opérette de music-hall.
    Douze tableaux.
    Dix pour emmerder le ténor et l'empêcher d'épouser celle qu'il a remarquée au troisième et qu'il ne reverra qu'au douzième...
   Après avoir fait le tour de la terre et changé onze fois de costume.
   Mais c'est des spectacles pas fatigants. On peut penser à autre chose.
   C'est ce que je faisais parce que moi, Jo le Baryton, je connais la musique.
    Je m'en suis tapé, de ces conneries-là, pendant des années. À Paris... Et en tourné... Ah là là ! j'en ai la colique quand j'y pense.
   Le premier tableau venait de se terminer et l'orchestre reprenait un motif entraînant pendant que le comique passait devant le tapis d'avant-scène en gambillant et en faisant le clown. Personne rigolait...  C'était lugubre... On attendait le ténor...
   Et puis, tout à coup, le rideau se releva...
   Un décor antillais du tonnerre...
   Avec un escalier immense devant un palais...
   Je ne sais pas où l'auteur avait vu un truc comme ça aux Antilles, mais qu'importe, c'était du chouette...
   Je devinais le coup...
   Manola allait descendre l'escalier dans un bel uniforme d'officier de marine... C'était couru...
   Je m'étais pas gouré.
   Déjà les boys et les danseuses faisaient la haie en chantant un chœur tonitruant et en tortillant des gambettes...
   Les trompettes et les trombones gueulaient ce qu'ils pouvaient.
   Dans la salle, les mômes frétillaient du slip.
   ... Et ce fut l'entrée de Manola...
   Il resta un instant sur le haut du praticable avant de descendre.
   Les acclamations montaient jusque dans les cintres.    Ça crépitait. Ça hurlait. Ça vociférait.
   Lui, toujours aussi beau et aussi con, souriait bétement jusqu'aux oreilles.
   Il avait dû aller se faire faire un grattage des chochottes la veille ou l'avant-veille.
   Dans les derniers rangs de balcon, une vieille tapée lui envoyait des baisers...
   Enfin, il se décida à descendre.
   Une marche, deux marches, trois marches...
   C'est alors que le drame se produisit.
   Rapidos.
   On le vit s'arrêter net, son regard se figea subitement. Il ouvrit la bouche, étendit les bras, crachat un flot de sang et dégringola les quinze ou vingt marches, la tête en avant.
   Ce fut une stupeur dans la salle et sur la scène...
   On ne comprenait rien. Que s'était-il passé ? Un malaise de l'artiste ? Non, ce n'était pas ça.
   Une drôle d'histoire.
   Il venait de recevoir une balle de 22 mm dans la carotide...
Mais, ça, on'a sut qu'après...

*

Georges Guibourg, dit Georgius, dit Jo Barnais
(Mort aux ténors ! - Éditions Gallimard, 1956)

Fawzi

P.-S. : Pour l'argot, un seul dictionnaire : celui de François Caradec aux éditions Larousse. François étant décédé depuis le 13 novemre 2008, il n'est plus mis à jour, mais qui, aujourd'hui, parle l'argot ou même le parigot ?

         De notre disc jockey - Paul Dubé


Octobre

Le mois d'octobre s'annonce moche. Déjà, dans plusieurs maisons ou appartements, il a fallu mettre en marche les foyers, les chaudières ou les calorifères car, quand le mercure s'est approché de zéro, surtout la nuit....

Alors, pour me donner un peu de courage, j'ai pensé à Woody Allen et à la musique dont il s'est servi en arrière-plan pour  son film Sleepers ou Woody et les robots (1973), mais auparavant, laissez-moi répondre à quelqu'un qui m'a écrit et qui m'a demandé quelle version des Suites françaises de Bach je préférais parmi celles de Gravilov, Schiff ou Gould, les trois mentionnés dans ma chronique du mois dernier.

Deux, trois choses :

Les puristes vous diront que pour interpréter de façon authentique l'oeuvre écrite pour le clavier de Bach, il faut qu'elle soit jouée sur un clavecin, à l'exception, bien sûr, des pièces composées pour orgues. C'est peut-être vrai. Assurément vrai pour, par exemple, son Concerto italien ou, comme le souligne Andras Schiff, pour des oeuvres où il faudrait trois mains pour jouer toutes les notes d'une partition rédigée pour un clavecin à pédale, la fugue en la mineur du Livre 1, par exemple. Et puis il faut aimer le son du clavecin.

D'un autre côté, comme les partitions de Bach contiennent très peu d'indications quant aux tempos (tempi) ou aux volumes qu'on doit apporter à certains passages par rapport à d'autres, il est loisible de penser qu'il a voulu laisser le choix de leur interprétation à ceux qui allaient les interpréter ; et peut-être même le choix de l'instrument : clavicorde, clavecin et sans doute  ceux qui allaient suivre comme le pianoforte ou les pianos romantiques ou modernes.

Et puis, il y a la musique des compositionsde Bach qui est aussi belle jouée et écoutée dans une petite pièce ou dans une salle de concert, lentement ou non, en insistant plus de la main gauche que de le main droite.

J'ai parlé, le mois dernier, de la main gauche - si fameuse et si particulière - de Gould, une main qui a rendu exceptionnel tout ce qu'il a joué : Bach, Beethoven, Haydn, Scriabin, Schoenberg, Strauss (Richard), etc., etc. - Sauf que j'aurais dû souligner qu'il arrive un temps où il faut se demander si c'est Bach, Beethoven, Haydn qu'on écoute ou si c'est Gould.

Pour le cinquième concerto pour piano de Beethoven, je vais vous l'avouer tout de suite, il n'y a, pour moi, qu'un interprétation qui compte : la sienne (avec Leopold  Stokowski, enregistrée en 1966), sauf qu'avec le temps, il m'a fallu admettre, après l'avoir entendu jouer par d'autres, que ce n'était pas Beethoven que j'écoutais - et que je continue d'écouter - mais Gould, et, de ce fait, un Beethoven que je ne reconnais pas dans  ses quatuors à cordes où là j'oscille, de semaines en semaines, entre trois interprétations - et encore : d'un quatuor à lautre, surtout pour l'opus 127. - Et il y a aussi sa cinquième dont je n'écoute depuis longtemps que le dernier mouvement par Kleber et le début de sa sixième par Walter... dont on dit qu'il la dirigeait comme une femme qui va au bal en portant tous ses bijoux - Que voulez-vous : c'est comme ça. 

Pour Bach, et ses Suites françaises, je suis plus catégorique (comme si je ne l'étais pas assez !) : je tiens beaucoup à entendre Bach et uniquement Bach... Alors j'écoute Schiff.

Oui, vous allez me dire, mais qu'est-en-t-il de sa main gauche ? - Ne vous en faites pas. La preuve est dans son interprétation de :

La courante de la suite no. 3 - Cliquez ici : Second

Mais revenons à Woody Allen.

Voici une pièce tirée de Woody et les Robots : - Cliquez ici : Second

***

Pour nos suggestions et enregistrements précédents, cliquez ICI

paul

Lectures

Note :

Les textes qui suivent - et les précédents - ne doivent pas être considérés comme de véritables critiques au sens de «jugements basés sur les mérites, défauts, qualités et imperfections» des livres, revues ou adaptations cinématographiques qui y sont mentionnés. Ils se veulent surtout être de commentaires, souvent sans rapport direct avec les oeuvres au sujet desquelles les chroniqueurs qui les signent désirent donner leurs opinions, opinions que n'endosse pas nécessairement la direction du Castor™ ni celle de l'Université de Napierville.

Pierre Lemaître - Couleurs de l'incendie
Albin Michel, 2018 (Deuxième volet d'une trilogie qui fait suite à Au revoir Là-haut, paru chez le même éditeur en 2013) 

Ou : Pourquoi, encore une fois, je trouve les auteurs à la mode, les gros vendeurs, les gagnants de prix littéraires, surtout les romanciers et en particulier ceux qui sont encensés par la critique, la plupart du temps, sans intérêt. 

Mettons les choses au clair :

Je n'ai rien contre les Lemaître, les Musso, les Giordano, les Lévy, les Mathieu, les Lançon y compris leurs équivalents québécois, américains, italiens, britanniques, argentins, japonais, autraliens... - Et je ne refuse pas systématiquement de les lire. - La preuve est dans la liste des dix, quinze, vingt derniers livres que j'ai lus - d'eux ou de leurs semblables  - et dont j'ai parlé ici au cours des derniers mois.

La plupart, je vais vous l'avouer franchement, ne m'ont pas déplu ; enfin, pas au point où j'ai décidé de les supprimer, eux et tous ceux qui écrivent des romans depuis dix, quinze, vingt, trente ans, de ma liste de livres à lire.

Ce que je reproche à chacun d'entre eux, du moins ceux que j'ai lus, pour utiliser la boutade de Cocteau, c'est de ne pas m'avoir étonné (quoique... voir plus loin).

Est-ce que vous vous souvenez de Some Like it Hot de Billy Wilder ? C'est un film  tourné en 1959 qui mettait en vedette Marilyn Monroe, Tony Curtis et Jack Lemmon (et un irréprochable George Raft dans le rôle de «Spats» Colombo). Je l'ai vu lors de sa sortie et l'ai revu, depuis, au moins une douzaine de fois, sinon plus. Ce fut et ça demeure encore, pour moi, la première vraie comédie au cours de laquelle j'ai ri et que je continue à rire scènes après scènes. Une première qui n'avait été précédée que par trois ou quatre films des Marx Brothers, de W. C. Fields ou Buster Keaton tournés trente, trente-cinq ans, quarante auparavant. - Pourquoi ? Parce que c'était une comédie d'un nouveau genre, complètement différentes de celles qu'on tournait à l'époque, exception faite, peut-être, d'Arsenic and Old Lace de Frank Capra (1944) qui n'était, en fait, qu'une pièce de théâtre filmée.

(Un exemple très représentatif de ce genre, fut It Happened One Night (Clark Gable, Claudette Colbert - De Kapra, également - 1934), aujourd'hui considéré comme un classique, qui connut un immense succès, mais qui est, de nos jours, plus, justement un classique qu'une comédie qui fait rire.)

Après  Some Like it Hot il me semble qu'il n'y a eu plus rien. Il a fallu que j'attende 39 ans - trente neuf ans ! - avant que je rie à nouveau tout autant. Ce fut lorsque je vis à l'écran The Big Lebowski des frères Coen en 1998. Pourquoi ? Parce que cette comédie était d'un genre nouveau elle aussi. Fort différente de toutes ce celles que j'ai pu avoir vue entre temps, y compris, non exclusivement, tout ce que la France et les États-unis ont pu tourner avec des comédiens de la trempe de Jerry Lewis, Funès, Bourvil, Pierre Richard, etc. - Une exception peut-être : les Tontons flingueurs de Georges Lautner (1963) qui n'était, dans son cas, qu'une série de boutades alignés à la façon d'un roman..

Vous avez compris ce que je voulais dire ? Pour qu'un film, un roman, n'importe quoi m'intéresse, soulève dans ma petite tête quelque chose qui attire mon attention au point où je sois prêt à le ou les regarder plusieurs fois ou lire et relire, il faut qu'il ou elle soit nouveau ou ait assez de profondeur pour que mes cellules grises soient stimulées, me proposent une nouvelle vision du monde, une nouvelle façon de le concevoir. - Bref : m'étonne.

Mais revenons à nos écrivains du début :

Vous savez ce que Ernst Curtius (*) disait en 1950 à propos de la critique ? Il disait que, depuis 1919, la situation du roman français s'était complètement transformée à la suite de la venue de Proust ; que l'arrivée d'un nouvel artiste éclairait l'art, y compris l'art du passé, d'une lumière nouvelle ; que c'est un phénomène constant et nécessaire, dont la critique littéraire ne se rend pas compte suffisamment.

(*) Ernst Robert Curtius (1886-1956) fut un spécialiste de littérature romane. - La citation ci-dessus est tiré de Nouvelles rencontres avec Balzac publié en 1950.

Cette remarque, quand je l'ai lue la première fois, m'a fait penser qu'en n'ayant sans doute pas lu Proust, ni Céline, ni Joyce (tant qu'à y être) les trois grands auteurs de la première moitié du siècle dernier (des auteurs qui ne sont faciles à lire - autant le préciser), il se peut que la majorité des lecteurs - pardon : de la majorité de ceux qui achètent et ne lisent qu'exclusivement les Lemaître, les Musso, les Giordano, et compagnie (lire : les gros vendeurs) - en soient encore au stade des Balzac, des Zola, des Dostoievski ou des Tolstoi du XIXe... Ce qui...

... est déjà extraordinaire ! Il est l'équivalent à celui qu'ont fait les lecteurs des Balzac, Zola, Dostoievski et Tolstoi, ces lecteurs qui s'étaient habitués, à la fin du XIXe, au début du XXe siècle, à lire du Georges Sand, du Dumas, du Hugo ou du Chateaubriand...

Une opinion, c'est tout. Et vous n'êtes pas obligé de la partager.

Deux auteurs qui, suite à Proust, Céline et Joyce m'ont étonné (et que je lis et relis souvent) ? - John Le Carré et Georges Pérec. Surtout, dans le cas de ce dernier La vie, mode d'emploi. Pas facile à lire non plus, les deux. - Et il ne faudrait pas que j'oublie Borgès à propos de qui Claude Mauriac disait «... qu'après l’avoir approché, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents...».

Aussi, quand je repense à :

... il me faut avouer que, malheureusement, je n'ai pas été étonné.

On m'a dit que c'était très drôle et bien ficelé. 

C'est sans doute vrai. Mais ça ne peut pas l'être pour quelqu'un - à mon avis, toujours - qui a lu Trois hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome (1889).

Cette impression me rappelle celle que j'ai eue quand on m'a donné à lire, il y a longtemps de cela,  Le petit prince de Saint-Exupéry (1943) et que j'ai tout de suite comparé à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (1865).

Simon

***

Les 1001 livres 
(Qu'il faut avoir lus dans sa vie)
Par près de 150 «spécialistes» sous la direction de Peter Boxall.
Traduit de l'anglais par Patricia Crossley-Lamin, Lorena Lamin et Anne Marcy-Benitz (1001 Books You Must read before You Die - Quintet Publishing) - Éditions du Trécarré et Éditions Flammarion, 2007

«Oh non ! Pas encore lui !» me dit Simon. 

Je n'avais pas remarqué sur ma table de travail le nom de Jean d'Ormesson parmi les noms mentionnés sur la couverture de cette brique de près de mille pages.

«T'en fais pas, lui ai-je répondu. Il n'a écrit que la préface. - Et que pour l'édition française.»

À son regard oblique, j'ai compris que ce n'était pas le genre de livre qu'il allait mettre sur sa table de chevet, mais je lui ai expliqué :

Je n'ai rien contre les listes. Particulièrement celles qui font le tri parmi les millions de volumes publiés depuis l'invention de l'écriture, y compris et surtout les dizaines de milliers que l'on publie de nos jours à chaque année. - Je peux même ajouter que  je me suis toujours fié à de telles listes quand je me suis aperçu que certaines étaient de véritables guide des lecture, soit rédigées par de véritables experts ou par des critiques sur lesquels j'ai appris à me fier ou, d'aucuns ajouteront, qui avaient la même conception d'un livre. Ajoutons ici, que je me suis fié souvent à certaines éditions comme celle de La Pléiade et/ou la malheureusement défunte collection des «Écrivains par eux-mêmes» (Seuil). 

Aussi, j'ai feuilleté ce 1001 livres (Qu'il faut avoir lus dans sa vie) avec un certain intérêt de même que son pendant...

Note : Avant de passer à ce pendant, je me dois de mentionner que les noms de Shakespeare, Homère, Molière, Milton, Baudelaire, Sophocle, Cicéron, Verlaine, ni ceux des grands philosophes ou essayistes de tous les temps ne figurent pas parmi les auteurs des «livres» mentionnés dans ce volume qui, vous l'aurez compris, ne comprend que des titres de romans. Faut-dire que «1001 romans à lire qu'il faut avoir lus dans sa vie» est un titre que tout éditeur sensé aurait refusé. - pensez-y : 1001 romans ! - Les amateurs de Best-Sellers seront ravis quand même d'y retrouver deux titres de Michel Houellebeck, un de Stephen King (idem pour Le Clézio) et quatre de Wladimir Nabokov de même que Fermina Marquez de Valery Larbaud et Tarzan d'Edgar Rice Burroughs.

Son pendant ?

(,,,à voir et revoir...), publié sous la direction de Steven Jay Scheinder avec une préface, non pas de d'Ormesson mais de Clause Aziza (who is Claude Aziza, anyway... ?), impliquant une soixantaine de collaborateurs (et 12 traducteurs !) que j'ai, celui-là, feuilleté page par page avec un immense plaisir (des milliers de photos !), mais égoïstement et avec une fierté, un orgueil même, car de ces 1 001 films, je me suis aperçu que j'en avais visionné plus des trois quarts. Et, en plus : finalement, dans une liste de films à voir, il y avait deux titres que j'ai toujours cru qu'ils devaient figurer dans toutes les listes : 1) Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel (1956), un film de série «B» à petit budget, avec des comédiens plus ou moins inconnus, qui, une fois qu'on l'a vu, on s'en souvient toujours, et 2) Blade Runner de Ridley Scott (1982)

Mon seul regret ? Fallait qu'on y insère l'Avventura de Michelangelo Antonioni (1960). - je n'ai pas, ofcoursément, connu tous les films tournés avant ce «chef-d'oeuvre», mais depuis, on en a tourné des milliers avec, plus ou moins, des scénarios sans but précis, ce qui fait que celui-là... ben... il est ennuyant comme la pluie car rien ne peut surprendre un cinéphile le moindrement averti. Sauf l'ennui qui s'en dégage.

Copernique

P.-S. : Quand incluera-t-on, dans ces listes de Best-of  un film parmi les soixante dans lesquels est paru Santo (Rodolpho Guzman Huerta (1917-1984)) dont, en particulier, Santo y Blue Demon vs Dracula y el Hombre Lomo (Santo et le démon bleu contre Dracula et le Lou-garou) (1973) ?

Il faut quand même apprendre ce que peuvent être les mauvais films...

***

Soixante ans après sa mort, 
que reste-t-il de Jean Cocteau ?
(Texte revu depuis sa première publication

Un éditeur me demandait il y a deux ou trois mois comment serait, au Québec, reçue une édition complète des oeuvres de Cocteau, y compris une copie de ces films et au moins deux et même trois volumes de photos tirés de ses dessins, de ses caricatures, des costumes qu'il a imaginés, des décors qu'il a créés , etc.

Je lui ai répondu qu'il pouvait compter en vendre une trentaine, peut-être une cinquantaine de copies car certains - mais définitivement pas tous - les bibliothécaires de la Province pourraient considérer l'immense ou les immenses coffrets qui contiendraient ce projet comme, compte tenu de la notoriété relative de Cocteau, étant une chose importante, mais que j'allais y repenser. Puis je me suis souvenu que, même  avec toutes les conversations, rencontres et discussions sérieuses que j'ai eues ici et là depuis le temps que je m'intéresse au cinéma et à la littérature - et certaines avec des spécialistes et des auteurs dont certains très connus - je n'ai jamais rencontré une seule personne qui m'ait parlé, même en passant, de Cocteau, de ses écrits, de sa poésie, de son théâtre ou de ses films. C'est à peine si on m'a rappelé les miroirs de son Orphée ou du maquillage de Jean Marais dans La belle et la bête. Quant à son théâtre, ses sculptures, ses dessins...

 D'où la question que je me suis posé et que j'ai donnée à ces notes :

Que reste-t-il VRAIMENT de Jean Cocteau, décédé il y aura bientôt cinquante six ans, le 11 octobre prochain ?

Ma première réponse, la plus spontanée, fut en fait : 

Rien ou plutôt... que du vent.

C'eut été facile à m'y en tenir, mais pour en avoir le coeur net, parce que Cocteau, tout de même... j'ai décidé de me replonger dans son univers. 

J'ai relu plusieurs de ses textes :  Les enfants terribles, Thomas l'imposteur et, au hasard, divers écrits dont Mes monstres sacrés, des notes adressées à Jean Marais, Sa Méditation devant la dépouille de Thaïs, une lettre à Jacques Maritain, quelques pages de sa correspondance avec Gide, divers essais ou articles qu'il a publiés dans divers journaux... ;

Je me suis penché assez longtemps sur son théâtre, surtout pour les répliques ou dialogues qu'il pouvait contenir. J'ai donc feuilleté avec attention son Antigone, ses Mariés de la Tour Eiffel, ses Parents terribles, sa machine à écrire... ;

J'ai regardé ou regardé à nouveau - mais vraiment regardé - quelques uns de ses films : La belle et la bête, Le sang d'un poète, Orphée Le testament d'Orphée, L'aigle à deux têtes...

J'ai lu, le plus lentement possible, quelques uns de ses poèmes (dont tous ceux contenus dans son Opéra et son Plain Chant)... ; 

J'ai écouté ou regardé sept ou huit interviews et bouts de films de lui ou sur lui (qu'on peut facilement retrouver sur YouTube)... ;

J'ai consulté quelques volumes et articles de magazine écrits sur lui... ;

Et pour les photos, je me suis fié au Catalogue de l'exposition «Jean Cocteau, sur le fil du siècle» au Centre Pompidou et au Musé des beaux-arts de Montréal (les deux en 2004).

Ce travail - car c'en était un - m'a pris plusieurs heures réparties sur, de mémoire, trois semaines.

À la tout fin, j'ai révisé ma boutade de tout à l'heure.

À la question «Que reste-il, etc.», j'ai répondu par une autre :

Rien, sinon une forte impression de déjà vu 
et un grand ennui

...

J'en ai parlé à Madame Malhasti, à Copernique, à mon libraire et à n'importe qui dont ceux qui auraient pu me faire changer d'idée, mais tous m'ont répondu par des haussements d'épaules significatifs ; qu'ils n'avaient rien à dire sur un personnage qu'ils n'avaient jamais lu, qu'ils ne connaissaient pas ou qui s'est cru longtemps important et qu'il ne l'a jamais été.

Je m'explique : 

...

André Fraigneau, l'écrivain-éditeur, et, si l'on en croit sa biographie un grand admirateur de Cocteau, écrivait en 1957 (*) que Cocteau, était un réactionnaire, mais un réactionnaire dans le bon sens du mot, à savoir qu'il était un être «physique et moral qui est celui des vrais novateurs, puisqu'[ils] réagissent contre tout entraînement organisé, tout automatisme, et que, refusant de dériver, ils maintiennent la seule tradition respectable composée de moments intenses de pures révoltes.»

(*) Cocteau - Numéro 41 de la collection «Écrivains de toujours» (Seuil, 1957) - un livre qui ne fait pas partie de la bibliographie de Fraigneau - celle sur Wikipédia - ...à se demander pourquoi.

Deux choses :

Un. Cocteau n'a pas été le seul, ni le premier des réactionnaires (au sens précité) de son temps, ni a-il été plus réactionnaire (idem) que ceux des deux ou trois décennies qui l'ont précédé. - J'hésite, par rapport à ces derniers, à mentionner le nom de Rimbaud que je relis avec une opinion fort différente de celle que j'ai eu à vingt ans, mais voilà, je l'ai fait. Il y a cependant un nom que personne ne mettra en doute et c'est celui d'Isidore Ducasse dit Le comte de Lautréamont pour ne nommer que lui. - Ajoutez Baudelaire et même Zola si le coeur vous en dit.

Deux. Les réactions (passez-moi l'expression) de Cocteau ne furent que la manifestation timide de celles des écrivains, peintres, compositeurs de son temps  et s'il faut comparer sa «production» à celles des Proust, Joyce, Céline, Renoir, Degas, Seurat, Malher, Stravinsky ou Bartok, on s'aperçoit très vite que ses réactions n'ont pas eu de suites.

C'est que Cocteau n'a rien créé de nouveau, ou de révolutionnaire : il s'est contenté de montrer du doigt dans une langue aujourd'hui surannée (ou fioriturismée - voir nos commentaires sur le fioriturisme dans notre numéro précédent) ce qui n'allait pas dans le monde de son temps. En ce sens, il n'aurait pas pu exister sans un monde qui lui paraissait étrange, mais ce faisant, il n'en a pas suggéré ni créé un autre ;  ils s'est contenté de nier tout simplement celui dans lequel il vivait. Il aurait suffit que le monde tel qu'on le connaissait à son époque soit différent pour qu'il en soumette un qui ressemblât étrangement au premier. Et tout cela avec des formules «poétiques» vides de sens, souvent trafiquées pour frapper l'imagination de ses lecteurs, mais qui ont peut-être frappé ceux de son temps, mais qui, aujourd'hui ne frappent plus rien.

Copernique cite Antonioni dans sa chronique d'aujourd'hui. En se demandant ce que l'on devait penser aujourd'hui de son Avventura dont on disait, à sa sortie, qu'il s'agissait d'un «document d'une remarquable profondeur intellectuelle, soulignant le fossé entre les progrès de la science et la morale "rigide et stylisée" répandue dans la société moderne.,,» (*) .

(*) Seymour Chatman : Michelangelo Antonioni, Paul Duncan éd., Taschen, 2008.

Je me pose les mêmes questions à propos du Testament d'Orphée dont les Cahiers du cinéma disait, à sa sortie, que «Ce film [était] beau parce que [c'était] le film d'un homme qui savait qu'il allait mourir et qui ne parvenait pas, quelque désir qu'il en ait, à prendre la mort au sérieux.»

On ne peut pas vraiment dire le contraire de ces deux citations. Ce qu'on peut leur ajouter cependant, c'est que depuis l'un et l'autre de ces films, le monde a considérablement évolué et qu'on en a tourné, depuis, des centaines, des milliers d'autres beaucoup plus intéressants quant à leur signification profonde.

Oui, il est admirable que quelqu'un, un jour, ouvre de nouvelles portes, encore faut-il que ces portes débouchent sur des mondes plus complexes et plus attrayants que de longs paysages où il ne passe rien, ou qui ont pour dialogues des paroles qui n'ont aucune signification, même pas celles, absurdes, d'un Ionesco.

Les Enfants terribles d'aujourd'hui n'ont plus cinq ans comme les semi-adultes de Cocteau, ils en ont quarante et cinquante. Il y a longtemps qu'ils ont cessé de dire non.

Être réactionnaire, c'est s'appeler Céline, Proust, Joyce, Virgina Woolf, Scorcese, ou tout simplement Joel et Ethan Coen : on ne se contente pas de nier, on crée.

Cocteau n'a rien créé : il s'est contenté de pointer du doigt un monde qui n'existe plus et, le plus souvent, en utilisant des formules qu'il disait poétiques et qui ne l'étaient pas du tout. 

Vous ne me croyez pas ? - Alors lisez ceci :

Une main de femme qui coupe, une main coupée de femme, retourne comme une plume le bloc des cartes sans coeur. Une main de femme change l'ordre des calculs éternels,

On a découvert les pattes du sphinx. Le sphinx trichait.

Hélas, les dupes ne se comptent plus. Les immeubles souterrains en témoignent, remplis de rois empaillés, de rois empaillés et dorés, de rois dorés et empaillés.

Certes l'intelligence discrète de la police et des archéologues mérite nos éloges, mais on oublie trop quel rôle jouait la main du Nil dans cette formidable entreprise de mort.

Chaque jour une ruse nouvelle nous saute aux yeux (croix des ânes, barbiche des colosses), N'empêche que depuis plusieurs siècles l'Égypte commet impunément ses crimes sous le masque hypocrite de la beauté.

(Découverte des pattes du sphinx en 1926, tiré de Opéra, 1927)

Si vous avez lu comme moi je l'ai fait, sans lever le moindre sourcil en vous demandant si le poème suivant, dans le receuil précité, allait être mieux. Eh ben, non.

Ajouts de dernière heure :

J'ai vu Jean Marais sur scène dans King Lear de Shakespeare et Edwige Feuillère dans Phèdre de Racine. Quant à Maria Casarès, à défaut de la voir au théâtre, je me suis contenté de la (re)voir au delà de ses rôles dans Orphée et dans Le testament d'Orphée ; dans Les enfants du paradis de Marcel Carné et la Chartreuse de Parme de oChristian-Jaque, par exemples. Et ce que je peux vous affirmer que les trois étaient de grands comédiens. Marais particulièrement lorsqu'on le compare à nul autre qu'Orson Welles qui a tourné, pour la télévision un rarissime King Lear.

Malheureusement, tous les trois, sous la direction de Cocteau, n'étaient que l'ombre d'eux-mêmes. Et c'est très facile de comprendre pourquoi : c'est que les dialogues de Cocteau, surtout ceux dans son théâtre, sont entrecoupés de sa fameuse poésie et si peu naturels qu'on ne saurait en citer des passages sans se demander si ce ne sont pas des automates qui les prononcent ; ceux que Marais, en particulier, devait dire et qu'il ne savait au juste quelle intonation prendre ni quels gestes devaient les accompagner.

C'est Jean Gabin à qui on aurait demandé de dire dans un de ses films : «Allez, les gars, sortez : vous êtes coincés.»

Et une dernière remarque :

J'ai des tonnes et des tonnes de citations  que j'ai notées au cours de mes lectures dans d'innombrables cahiers, calepins, fiches Bristol et bout de papier qu'il me faudrait des heures à classer. Une manie que j'ai prise en lisant, jeune,  Shakespeare ou quelqu'un dans le même genre ; Racine, entre autres. - Je n'en ai noté aucune de tout ce que j'ai lu ou écouté de Cocteau avant d'écrire cette chronique.

Tiens, pour me calmer un peu, je crois que je vais me taper deux ou trois pièces de Guitry avant d'aller me coucher. - Toujours aussi drôle celui-là...

Simon

L'extrait du mois


1 - La Bible

John Ruskin écrivait en 1867 (*) qu'il y avait quatre façons de lire la Bible :

  1. En illettrés et se dire que les textes qu'elle contient consistent en des paroles dictées mots à mots par Dieu à des gens qui n'avaient aucune raison de les modifier et, qu'en conséquence, leur contenu, jusqu'à la moindre syllabe, ne peut être contesté d'aucune façon.

  2. En lettrés éduqués et considérer que ces mêmes textes, quoique contenant quelques erreurs, ont été rédigés par des hommes inspirés directement par la pensée divine et que les différentes interprétations qu'en ont fait les exégètes peuvent suffire à quiconque cherche à comprendre le sens de la vie. 

  3. En croyants prêts à admettre que la Bible n'est pas une somme de textes d'inspiration divine, mais une oeuvre d'origine humaine tentant de définir, grâce à tous ceux qui ont étudié la question, les rapports que l'homme doit avoir avec Dieu et comment se rendre digne de lui.

    Et finalement :

  4. En êtres éclairés qui considèrent que les livres et conseils qu'elle contient sont le résultat des meilleurs efforts que les plus intelligents des hommes d'une certaine culture ont fait pour comprendre ce qui pourrait être incompréhensible de même que d'autres tout aussi intelligents, mais de cultures différentes, ont fait de leur côté et que les textes qu'ils ont écrits sont aussi valables, y compris ceux des Égyptiens, Grecs, Perses, des gens du monde oriental, etc.

(*) Ou 1872  :  Time and Tide by Weare and Tyne (Twenty-five Letters to a Working Man of Sunderland on The Laws of Work) - London, Smith, Elder & Co. - G. Allen, Heatfield Cottage, Keston, Kent. - On en trouvera une copie complète (Formats EPUB, HTML, Kindle, Texte, etc.) sur le site Gutenburg.org. - Le résumé ci-dessus se rapport à la VIIIe lettre (Things Written).

***

2 - À quand remonte...

Note : Après avoir vilipendé Jean d'Ormesson et ses derniers ouvrages, allant même jusqu'à le prier, du temps où il était encore vivant, de cesser de publier ses fonds de tiroir, j'ai pensé, pour cette édition du Castor™, d'attirer à nouveau votre attention sur un écrivain pas tout à fait de sa génération, mais presque, et dont j'ai vanté en mars, 2017, les mérites du livre dont est tiré l'extrait qui suit, un des 64 articles (?) de son La mémoire n'en fait qu'à sa tête (Albin Michel, 2017) : Bernard Pivot.

Certains d'entre-vous seraient peut-être tentés de dire que, dans ce passage, Pivot, tout comme d'Ormesson, cite des noms, mais dans son cas, très peu qui ne soient pas connus.

*

La dernière fois

François Nourissier : 
« Tu t'en souviens, 
oui ou non, de la 
dernière fois ?
»
(in À défaut de génie) (1).

   La dernière fois de qui ? de quoi? à propos de qui ? de quoi ?

   Ne fais pas l'idiot. La dernière fois que tu as fait l'amour avec... Pourquoi se souvient-on des premières fois et, plus rarement, des dernières, pourtant plus proches ? Parce que les premières se sont passées dans la fièvre et le plaisir de la découverte, les dernières dans le chagrin ou l'effort si on savait que c'était la dernière fois, dans la routine si on ne savait pas.

   Le plus souvent, on ne sait pas. Un virage tout de suite après, une sortie de route, un accident. Parfois, la mort. Ou bien l'un sait et l'autre pas. Arrête la voiture, je descends. Une autre voiture m'attend. Adieu.

   Ou au revoir, sait-on jamais. Dans ce cas, la dernière fois n'est plus la dernière.

   Si un couple a fait l'amour pour la dernière fois, c'est souvent parce que l'un des deux l'a fait ailleurs pour la première fois.

   Heureux les couples qui, d'un commun accord, ont décidé de se séparer et qui rassemblent ce qu'il leur reste d'amour, sinon de désir, pour tirer un ultime feu d'artifice !

   Il y a aussi de très vieux couples, toujours aimants, mais fatigués, souffrants, qui ne peuvent pas donner une date pour la dernière fois parce que ce ne furent à la fin que de tendres, émouvantes et vaines tentatives de prolonger leur félicité charnelle.

   L'idée m'a traversé l'esprit d'écrire un livre sur le thème de «la dernière fois», beaucoup moins visité que celui de la première. Mais il aurait été bien triste, les fins étant le plus souvent porteuses d'échecs, de limites d'âge, de coups du sort, de ras-le-bol, de maladies, de mort précoce. Il me semble que c'eût été un livre à contre-emploi.

   Certes, il existe aussi des dernières fois heureuses. Je me serais attaché à en glisser quelques-unes dans ce noir panorama de nos culs-de-sac. Par exemple, la dernière fois que j'ai cru au Père Noël, que j'ai remporté un tournoi de ping-pong scolaire, que mon père a revêtu sa tenue de prisonnier de guerre, qu'une étoile filante m'a porté chance, qu'une personne est morte de la tuberculose en France, que Romain Gary a obtenu le prix Goncourt...

   Basta ! Peut-être n'aurais-je pas échappé à ce qui eût été à la fois la logique du livre et son principal argument de vente : mon décès, entraînant la mention que c'était la dernière fois que je publiais ?

   J'ai quand même des regrets. Par exemple, de ne pas avoir raconté la dernière fois que la jeune Marguerite Donnadieu, plus tard Duras, et son amant chinois se sont vus et aimés. Elle n'a pas pleuré. Elle a attendu pour cela que le bateau se fût éloigné du port de Saigon. Sans cependant montrer ses larmes à sa mère et à son jeune frère. « Parce qu'il était chinois et qu'on ne devait pas pleurer ce genre d'amants... », L'Amant (2)

   J'imagine qu'Yves Montand se rappelait très bien quand, où et comment Marilyn Monroe et lui avaient fait l'amour pour la dernière fois. Je doute qu'avec Simone Signoret il en eût un souvenir aussi précis.

   Chateaubriand allait mourir. Il ne pouvait plus parler. À son chevet, Juliette Récamier. Elle était aux trois quarts aveugle. Ne pensaient-ils qu'à la douleur d'être à jamais séparés ? À l'espoir que Dieu les réunirait ? Ou bien, au milieu de leur commune détresse, se rappelaient-ils la dernière fois qu'ils s'étaient donné un plaisir infini à l'Abbaye-aux-Bois ?

   Seul le FBI connaît la date de la nuit où John Kennedy et sa femme Jackie ont couché ensemble pour la dernière fois.

   La dernière fois qu'Anton Tchekhov a bu du champagne, c'était juste avant de mourir, ses derniers mots étant pour constater que « cela faisait longtemps » qu'il n'avait pas eu ce plaisir.

   C'est la dernière fois que la comtesse Livia, éblouie, regarde « ces bras, ces épaules, ce cou, tous ces membres que j'avais tant aimés ». Le lieutenant Remigio est nu jusqu'à la ceinture. Son thorax sera bientôt troué. C'est elle, trompée, jalouse, haineuse, revancharde, qui l'a dénoncé et envoyé devant un peloton d'exécution. La dernière image qu'elle a de son amant avant qu'il meure ? « ... Quand, à Venise, dans la "sirène", plein d'ardeur et de joie, il m'avait serrée pour la première fois dans ses bras d'acier », Camillo Boito, Senso (3).

   Pour le vieil Hugh Griffith qui va mourir, Sydne Rome, au pied du lit, relève haut sa robe pour qu'il emporte de cette terre une dernière et délicieuse image, Roman Polanski, Quoi? (4)

(1) À défaut de génie, autobiographie, Gallimard, 2000 - François Nourissier (1927-2011), successivement secrétaire général des éditions Denoël (1952-1955), rédacteur en chef de la revue La Parisienne (1955-1958), et conseiller aux éditions Grasset (1958-1996). - Élu à l'Académie Goncourt en 1977 au couvert de Raymond Queneau, il en devient le secrétaire général en 1983 et le président de 1996 à 2002. Il démissionne en 2008 pour des raisons de santé. - Voir à https://www.youtube.com/watch?v=Zga4khDopkA.

(2) Marguerite Duras, L'amant, Éditions de Minuit, 1984.

(3) Senso, roman-nouvelle de Camillo Boito (1836-1914) écrit en 1882, adapté pour le cinéma en 1954 par Luchino Visconti. (voir à : https://fr.wikipedia.org/wiki/Senso) avec en vedettes, Alida Valli et Stewart Granger. - Son frère, Arrigo Boito fut celui qui écrivit les livrets d'Othello et de Falstaff de Verdi.

(4) Quoi ? What ? ou Che ? - Film de Roman Polanski, 1972, mettant en vedette, outre Griffith et Rome, Marcello Mastroianni, Voir à : https://www.imdb.com/title/tt0070913/?ref_=nm_flmg_act_15

Simon

Au Bijou, cette semaine


 

Nosferatu

Un remake du chef-d'oeuvre de 

Friedrich Wilhelm Murnau

Le courrier


M. Gaston Mortsauf - Quartier St-Henri (ex-Ste-Elizabeth-du-Portugal), Mtl

Lino Banfi, né le 11 juillet 1836, à Andria, Oublia (Italie), le Savino la Grasta dans Spaghetti a mezzanote de Sergio Martino (1981), un film qui mettait également en vedette Barbara Bouchet mieux connue pour ses rôles en costume d'adultère.

Mme Charlotte-Étienette Dufour, Kapuskasing, Ontario

Par la route ? 612,1 kilomètres de Thunder Bay.

Mme Lucette Chagrin, Outremont, Québec (autrefois du Plateau)

Masakao Shitake (1867-1946), le forçat du haïku.

 

Dédicace


Cette édition du Castor est dédiée à :

Buster Keaton
(1898-1966)


Le mot de la fin


«Politics is a game of  fear. Those who do not have the ability to frighten power elites do not succeed [...] The platitudes about justice, equality, and democracy are just that. Only when ruling elites become worried about survival do they react. Appealing to the better nature of the powerful is useless. They don't have one.»

Chris Hedges «America, The Farewell Tour» (2018)

La politique est un jeu de peur. Ceux qui n'ont pas la capacité d'effrayer les élites au pouvoir ne réussissent pas [...] Les platitudes sur la justice, l'égalité et la démocratie ne sont que cela. Ce n'est que lorsque les élites dirigeantes s'inquiètent pour leur survie qu'elles réagissent. Faire appel à la meilleure nature des puissants est inutile. Ils n'en ont pas.»)

***

©Barry Blitt's «Whack Job»
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

Au Bijou, cette semaine


 

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Friedrich Wilhelm Murnau

Autres sites à consulter 



Webmestre : France L'Heureux


Webmestre : Éric Lortie

 
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De cet hebdomadaire publié sur les électroniques presses de la Vatfair-Fair Broadcasting Corporation grâce à une subvention du Ministère des Arts et de la Culture du Caraguay, il est tiré, le premier lundi de chaque mois, sept exemplaires numérotés de I à VII, sur papier alfa cellunaf et sur offset ivoire des papeteries de la Gazette de Saint-Romuald-d'Etchemin et trois exemplaires, numéroté de 1 à 3, sur offset de luxe des papeteries Bontemps constituant l'édition originale, plus trois exemplaires de luxe (quadrichromes) réservés au Professeur Marshall, à Madame France DesRoches et à Madame Jean-Claude Briallis, les deux du Mensuel Varois Illustré.

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