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et Prix
Littéraires
Un essai de Paul Dubé
À propos de cet essai
Parmi tous les commentaires que j'ai reçus
suite à la publication de cet «essai» (entre guillemets,
j'insiste), celui qui m'a semblé le plus juste fut que j'aurais eu
intérêt à le rédiger avec plus de soins.
C'est que j'ai justement porté trop
d'attention à sa rédaction, le relisant douze fois plutôt qu'une,
ajoutant un paragraphe ici, en supprimant un autre ailleurs, modifiant
une expression et - je l'espère - corrigeant la plupart des fautes de
frappe ou d'orthographe au fur et à mesure que je les notais.
Puis, non satisfait, à la suggestion
de Simon et de Copernique, je l'ai laissé aller. "Tu le
reliras dans dix ans" m'ont-ils dit. "À ce moment-là,
tu verras s'il vaut la peine d'être récrit." - Sage
conseil, si jamais on m'en a formulé un.
Depuis, je me suis ravisé. J'ai
compris que mes efforts étaient voués à l'échec pour une raison très
simple :
Il est, en lui-même, une parfaite démonstration
de ce que j'ai, entre autres, avancé au cours de mon élocution :
Que l'écriture ne peut pas
remplacer ce qui a été dit de vive voix.
Or, de ma première à ma dernière
version, celle qui suit, j'ai tenté de reproduire ce qui ne pouvait
être reproduit : le ton amicale et familier d'une causerie entre
amis.
Amicalement, donc,
paul
Le lundi 17 janvier 2022
Best Sellers et Prix
Littéraires
|
À Michel C. qui lit des
histoires |
|
et |
|
Mes remerciements à : |
|
Simon Popp et Copernique
Marshall pour leur précieuse aide. |
Introduction
Ce texte se voulait au départ être un résumé d'une causerie que j'ai eu le plaisir
d'animer le 8 décembre 2021 à :
La Librairie Coté Gauche, 33 rue du Marché
Salaberry-de-Valleyfield, J6P 1P3
Province de Québec
Il s'agit d'une tentative de répondre
à la demande de plusieurs personnes qui n'ont
pas pu assister à cette causerie pour diverses raisons (espace insuffisant,
location géographique, contraintes que nous imposaient alors la pandémie, etc.)
et qui m'ont demandé si je ne pouvais pas leur en récapituler les
grandes lignes.
J'ai pensé qu'à partir de mes notes et d'un
enregistrement raté (audible, mais à peine), cela allait être
facile mais, comme le tout fut largement
improvisé, je me suis retrouvé dans l'impossibilité de non
seulement me rappeler exactement ce dont il a été question
au cours de cette causerie mais surtout, ce qui m'a semblé
important : incapable de reproduire l'atmosphère
dans lequel elle s'est déroulée.
Et, comme cela se produit invariablement lorsqu'on
s'exprime devant un auditoire, certains points que j'aurais voulu
souligner ne l'ont pas été tandis que d'autres me sont venus après, inspirés pour la
plupart par des
questions qui m'ont été posées une fois mon intervention terminée.
Aussi, je vous prie de considérer ce
qui suit - et que la direction du Castor™ de Napierville
a tenu pompeusement à qualifier d'essai - comme étant
l'intervention que j'aurais voulu faire et qui, compte tenu que je
m'y exprime par écrit plutôt que verbalement, pourrait
s'avérer différent de mes véritables propos, un aspect
de l'inévitable conflit entre la parole et l'écrit dont il fut,
entre autres, justement question ce soir-là. À noter que j'ai tenté de le rédiger
dans un style imitant la manière
et le ton qu'on utilise quand on
s'adresse directement à un public. - On en excusera, en conséquence,
sa
familiarité de même que ses passages d'un sujet à l'autre sans
avertissements.
Me reste à remercier les
personnes qui ont assisté à cette causerie pour le chaleureux
accueil qu'ils m'ont manifesté
(*) et souhaiter à ceux qui me liront bonne
lecture.
paul
(*)
Grand merci particulièrement Monsieur Denis
C. qui a écrit une des notes les plus inattendues qui me soient
parvenues depuis que j'anime ce genre de causeries :
«Notre soirée d'hier a été
intéressante c'est le moins qu'on puisse dire. J'ai rarement vu
quelqu'un d'aussi intéressant sur un sujet qui ne m' intéresse
pas. Les romans je ne lis jamais cela. Je ne commencerai pas à en
lire non plus mais cet homme là sait parler d'une chose qui
ne t'intéresse pas et être intéressant, il faut le faire. Sa culture t'intéresse. Je comprends pourquoi il n' a pas de télévision,
elle n'est plus intéressante pour un homme comme lui. C'est comme
l'étudiant qui surpasse son professeur. Merci encore ce fut
très enrichissant...»
Remarques sur le thème général de
cette causerie
L'affiche qui en annonçait la tenue
se lisait à peu près comme ceci :
«Pourquoi il ne faut pas lire les Best
Sellers ni les lauréats de Prix Littéraires et les raisons pour
lesquelles il faut se méfier de la littérature contemporaine.»
D'emblée, je me suis excusé de ce
titre quelque peu provocateur car je n'avais nullement l'intention de
me lancer lors de ma présentation dans une attaque en règle contre : a) les livres qui se vendent
aujourd'hui à des dizaines de milliers, parfois même des centaines
de milliers d'exemplaires, b) les auteurs que la critique semble
avoir voulu au fil des années récompenser pour leurs talents d'écrivains
et
c) surtout, la littérature telle qu'elle semble exister aujourd'hui car
:
1 - Je n'ai jamais lu, sauf par accident ou encore parce
qu'on m'y a forcé, des livres qui
ont été ou qui sont devenus ce qu'on appelle de Meilleurs Vendeurs
2 - Je me suis toujours méfié des auteurs suggérés par, d'abord, les professeurs qui m'ont enseigné les rudiments de la littérature
et tous ceux qui, par la suite, ont insisté pour que j'en lise
d'autres qu'on me disait exceptionnels et
que, par acquit de conscience ou par défit, je me suis empressé
de ne pas lire
3 - Quant à la littérature d'aujourd'hui,
je n'ai aucune idée de ce qu'elle pourrait être.
En d'autres mots, je ne pouvais pas,
ce soir-là, parler de ce que je ne connaissais pas et que je connais
toujours pas.
Par contre, j'ai insisté pour dire
que, sans vouloir changer le thème général tel qu'on l'avait
annoncé, je désirais
d'abord et avant tout souligner le fait qu'il était peut-être temps de se demander comment d'un outil essentiel à la culture
de presque toutes les civilisations qui ont existé depuis que le
monde est monde, surtout depuis l'invention de l'imprimerie, on semble en être
venu depuis plusieurs années
à transformer un objet - le livre - en quelque chose qui sert à publier n'importe quoi, écrit
n'importe comment, par n'importe qui et qu'on distribue comme
si c'était du fast-food. Et en disant cela, je me suis rappelé
la célèbre boutade lancée un jour par Bernard Pivot :
«Aujourd'hui,
tout le monde publie, sauf certains auteurs.»
Et c'est sur ce terrain que je me
suis aventuré en me disant que j'allais recevoir plus de réponses
à diverses questions que j'allais en avancer selon le vieil adage
qui dit que celui qui parle en sait toujours moins que
celui qui écoute.
Pour y parvenir, j'ai résumé mon intervention à trois - passez-moi l'expression -
sous-thèmes :
En un premier temps :
1 - Qu'est-ce que lire ?
et :
2 - Que lit-on généralement, et pourquoi ?
Et pour terminer :
3 - Que devrait-on lire ou quels sont les livres qu'on pourrait
qualifier d'essentiels ?
Pour en revenir, finalement, à
aborder, mais avec l'aide de tous ceux qui sont venus m'écouter, le thème général,
originalement proposé pour cette causerie :
«Pourquoi il ne faut pas lire les Meilleurs
[Best]
Sellers ni les lauréats de Prix Littéraires et les raisons pour
lesquelles il faut se méfier de la littérature contemporaine.»
Vous êtes prêts ?
Alors la parole est à l'animateur :
Première partie :
1 - Qu'est-ce que lire ?
Cette question peut sembler insolite, arrogante même, lorsque - comme je viens de le faire
- elle
s'adresse à des gens qui - il faut le supposer - savent lire
puisqu'ils sont dans une librairie. Mais est-elle vraiment si
curieuse, si insolite, et... - disons-le franchement - désinvolte ?
Je m'explique :
Pourquoi lisons-nous ? L'acte de lire, l'opération qui consiste
à parcourir des yeux des lignes tracées dans un livre, un journal ou
dans un petite affiche à côté d'une toile dans un musée, n'est pas quelque chose qui,
à bien des égards, pourrait passer pour étrange à un être
tout à fait normal, mais... qui n'avait jamais vu un livre ou même un
bout de papier sur lequel sont inscrits des signes incompréhensibles
? - Le moindre qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas un acte qui
est venu naturellement, spontanément à nos lointains ancêtres.
Aujourd'hui, encore, marcher, dormir, manger, courir, jouer,
chanter, crier, fêter avec des amis, aller
à la pêche, à la chasse, flirter avec le voisin ou la voisine, mettre deux planches sous ses pieds et se
jeter vers le bas
d'une montagne, faire la cuisine, planter des choux... vous ne trouvez
pas que ce sont des activités qu'on pourrait qualifier de plus normales que
lire ? Quoique mettre des planches sous ses pieds... Enfin ...plus
normales que décider, par une belle journée de printemps ou d'automne - c'est
le genre de choses qui a dû vous arriver - de rester seul,
à la maison ou dans un chalet, pour ouvrir un livre et lire.
D'où ma question :
C'est quoi, lire ?
Techniquement, la meilleure définition que j'ai pu
trouver de la lecture est la suivante :
Attention : elle est longue.
C'est :
«Intellectuellement, transformer
des signes graphiques
qui furent d'abord des marques qui ressemblaient à des traits
tracés au hasard sur des morceaux de bois ou des tablettes en pierre (écriture cunéiforme), puis
des dessins représentant des animaux et divers objets sur
des murs (écriture hiéroglyphique) et
finalement des entailles ou des traits "à l'encre", sur des
peaux de chèvres ou de moutons, qu'on appela des lettres dont les
formes ont varié au fil des temps, d'une région du monde à une
autre. (J'oublie à dessin les flèches et autres signes comme des cercles,
des triangles, des rectangles et même deux lignes parallèles qui
signifient égal en mathématique ou les noeuds dans des bouts
de cordes - vous comprenez ce que je veux dire)...
... intellectuellement - je
poursuis - transformer des lettres qui, combinées entre elles, furent associés à des
sons
qu'on finit par appeler des syllabes - qui en elles-mêmes ne signifiaient absolument rien
- mais qui, prononcées à haute voix, l'une après l'autre - car l'écriture
fut à l'origine une représentation de la parole -, finirent par ressembler à des mots qui, combinés à
leur tour,
devinrent des phrases, i.e. :
M-I ... C-H-E-L ... E-S-T ... A-L-L-É
... C-H-E-R ... C-H-E-R...
D-U ... L-A-I-T ... C-H-E-Z ...L-E ... DÉ-PAN-NEUR...»
Ce qui nous amène à une définition
d'une phrase.
(C'est compliqué lire.)
Le dictionnaire de l'Académie française
nous dit qu'une phrase, c'est :
«Une proposition simple ou un ensemble de propositions, grammaticalement autonome, et qui présente une unité de sens»
*** Aparté ***
[Ici,
celui qui parle s'adressa à un auditeur pris au hasard :
«Vous avez compris quelque chose ? -
Ne vous en faites pas, c'est pire en anglais et comptez-vous
chanceux de n'être pas né en Allemagne ou le mot
"papillon" -- "butterfly" en anglais,
"farfalla" en italien et "mariposa" en espagnol
-- se dit "schmetterling"... ! ]
*** Fin de l'aparté ***
En vrai français, "Une
proposition simple ou un ensemble de...bla-bla-bla", veut tout simplement dire que
:
Une phrase est l'expression d'une
pensée.
Une pensée...
Plus jeune, on me disait qu'une phrase
complète devait avoir au moins trois attributs : un sujet, un verbe
un complément. exemple : "Paul mange une pomme" --> "Paul", un sujet ; "mange", un
verbe ; "une pomme", complément.
Ça faisait partie de
ces stupidités qu'on nous enseignait à l'époque, genre : "Après
un 'SI', il n'y pas de 'R', jusqu'à ce que quelqu'un pose la question
: "Mais si l'on erre ?"
Depuis, on a appris qu'une
phrase pouvait ne contenir qu'un seul mot : "Merde",
"Oui", "Non", "Silence !"...
Pour les curieux, une des phrases les
plus longues écrites en français se trouve - devinez chez qui - chez
Proust. Elle fait partie d'une partie de son récit- roman-
autobiographie (on ne s'entend toujours pas là-dessus), À la recherche du Temps perdu, celle qui
s'appelle Sodome et Gomorrhe (Volume
1, p. 36) et elle contient 856 mots :
« Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui :
“Les deux sexes mourront chacun de son côté” ; exclus même, hors les jours de grande infortune,
etc., etc. »
Vous voyez le genre. Mais revenons à
notre affaire et disons-nous que :
«Lire, c'est transformer
intellectuellement -
[ en aparté à
l'auditeur ci-dessus : "Intellectuellement", ça veut
dire "dans sa tête" ] - des dessins en lettres, des
lettres en sons, des sons en mots, des mots en
phrases et qui dit "phrases", dit "pensées" -
mais attention hein :
pas les pensées de celui qui lit, mais celles de celui qui,
à la base, a utilisé, pour les exprimer, des petits dessins pour représenter des
lettres, des mots, etc.»
Vous voyez le travail que ça implique
? Et dire qu'on fait ça sans y penser...
Mais j'ai pas fini :
Vous savez les signes qui sont des lettres qui représentent
des sons dont je viens de
vous parler, ben y'en a d'autres - ceux de la ponctuation - et
puis y'a des règles à observer : celles de l'orthographe - y'a onze façon d'écrire
en français le son "O" :
au, eau, ault, eault, os, ot... -, les règles de syntaxe (parce que les
mots changent de sens quand on les met dans un ordre différent :
"un pauvre homme" par exemple, au lieu de "un homme
pauvre"...), sans oublier les "règles"
(entre guillemets) de grammaire comme la concordance des temps, ou l'accord du participe passé
d'un verbe conjugué avec l'auxiliaire avoir [inventé par Clément
Marot à la demande de François Premier qui voulait impressionner des
visiteurs en provenance d'Italie... ]. Or, sans ces signes et règles, l'écrivain et le
lecteur ne pourraient pas se comprendre.
Mais y'a kek'chose de mauditement plus
compliqué que tout ça :
C'est qu'on ne pense pas en
mots, ni en phrases
On pense en images, en sons, en
sensations diverses, en impressions, en émotions, on pense en tout ce que nos sens nous
renvoient et il suffit d'un bruit, d'une odeur, d'un coup de vent d'un claquement de mains
[ l'auditeur claque des
mains et poursuit...
] ... pour que notre
attention - ce à quoi on est en train de "penser" - soit
tout à coup dirigée vers quelque chose d'autre.
Et puis, même si on finit par se
comprendre approximativement entre êtres humains, pour rendre toute communication entre celui qui écrit et celui qui lit encore plus difficile y'a le
vocabulaire qui n'est jamais le même et qui, parfois, se modifie avec le temps...
Vous saviez que du temps de Corneille
- qui a écrit autre chose que Le Cid - le mot "formidable" voulait dire "qui est
à craindre" ? - C'est le mot qu'il utilise dans sa tragédie, Attila, roi des Huns,
pour son personnage central qui - au deuxième acte, si ma mémoire est exacte
- se décrit ainsi :
"Que les conseils, le grand coeur et
ma main,
Me rendent formidable à tout le genre humain"
C'était - ce qui ne me rajeunit pas
- la définition qu'on pouvait trouver dans le vieux Littré que
nous avions à la maison avant la venue du Petit Larousse et
ses énigmatiques pages roses.
Vous voulez d'autres exemples, plus
courants que celui-là ?
Ne vous a-t-on pas dit il y a
quelque temps que le nouveau guitariste qui joue au Bistro
*** était écoeurant
?
que le comédien qui jouait dans la dernière pièce de X était fou
à lier ? ou qu'au restaurant Z leurs desserts étaient dégueulassement
bons ?
Vous savez : Gide avait raison de dire sur son lit
de mort qu'il avait peur qu'avec le temps ses phrases deviennent grammaticalement incorrectes.
Il a dû, le pauvre, se retourner dans sa tombe
plusieurs fois depuis. Inhumé près d'un mur à l'arrière d'une chapelle,
il serait, aujourd'hui,
aux dernières nouvelles, rendu près
de la porte avant.
Mais la grande, la très grande,
l'ultime difficulté de la lecture et que bien des lecteurs ne se
rendent pas compte, c'est qu'on n'écrit pas comme on parle.
Parce que, quand on parle, on n'est
pas obligé d'utiliser:
des lettres, des signes de ponctuation, des mots ou des phrases.
Quand on parle, oui, on utilise des
mots et des phrases, mais combien de fois cesse-t-on de
parler quand on s'aperçoit que la personne à qui l'on s'adresse a
compris ce qu'on voulait dire ? Des fois, on ne dit même pas un mot,
on fait un geste.
On dit oui ou non de la tête. On
soulève les épaules. On fait "plus ou moins" de la main
ou on présente ses paumes pour indiquer qu'on n'y peut rien. On lève
les yeux vers le ciel. On soupire pour dire qu'on s'ennuie. On fait
des bras d'honneur...
Cf. :

(Libraire Anthèlme Fayard, 2005)
Et c'est à des choses semblables qu'on
s'aperçoit que l'écriture et la lecture sont différentes entre
elles et en même temps défaillantes à bien
des niveaux.
L'écriture implique une méthode
particulière pour exprimer ce que l'on pense. Il n'y a pas de gestes ni de
haussements d'épaules
dans l'écriture et pour permettre à un écrivain de transmettre ses pensées, ses idées à un lecteur
qu'il forcément ne voit pas, il doit apprendre à... écrire
tout comme son ou ses lecteurs qui le lira ou qui le liront doit
apprendre à... le lire... et non pas s'imaginer que, parce que les
deux sont capables de déchiffrer les mêmes lettres qu'ils vont
automatiquement se comprendre.
Y'a le temps également qui
n'aide pas les choses : celui écoulé
entre la chose écrite et la chose lue.
L'écriture - tout ce qui est écrit - fait partie
d'un certain passé tandis que la lecture - tout ce qui est lu - fait
partie d'un certain présent : celui où un lecteur se met à
lire ce qu'un autre a écrit, des semaines, des jours, des années, des siècles
auparavant et ce, évidemment, dans un contexte fort différent.
Or entre les deux peuvent survenir des tas de choses
qui ont un certain impact sur notre façon de penser et conséquemment
notre manière d'écrire et de lire :
Une guerre, des guerres, des
changements de régimes politiques, une pandémie, la ou les
modification(s) de pratiques religieuses, des
intermittences dans le subconscient collectif de sociétés entières, des
découvertes scientifiques révolutionnaires qui remettent tout en
question... - Les mots peuvent également avoir changé de sens ou on n'a pas
encore trouvé comment les traduire ... Et toutes ces transformations débouchent
souvent sur les discussions entre les gens qui ont lu le même livre
d'une époque à l'autre, d'une génération à l'autre et même entre
individus d'une même milieu.
On ne lit plus la Bible aujourd'hui
aussi fréquemment qu'on la lisait il n'y a pas si longtemps et quand
on la lit on lui donne une interprétation fort différente. La
consultation d'astrologues, fort courante à une certaine époque est
devenue presque folklorique de nos jours quoiqu'on continue à publier
des horoscopes dans de nombreux journaux...
Ce sont là, en résumé, certains des problèmes
auxquels l'écriture a à faire face. Ce qui entraine des problèmes
équivalents en ce qui concerne la lecture.
L'écrivain, pour s'exprimer - pour
particulièrement exprimer l'inexprimable, - doit, pour
contourner cette situation, s'en remettre à des trucs, des astuces, des artifices, des
moyens pour se faire
comprendre et il en résulte qu'à la lecture ce sont plus que des lettres et des mots qu'il faut déchiffrer,
ce sont ces trucs, ces astuces qu'il faut déceler, assimiler et
comprendre quand on lit.
En d'autres mots, il faut adapter son
mode de lecture à l'écriture d'un auteur et c'est d'autant plus difficile à faire
lorsqu'il a quelque chose d'entièrement nouveau à
dire ou qu'il doit parler de quelque chose qui n'existe plus
(l'honneur chevaleresque, par exemple) ou d'un certain futur plus ou
moins défini... car il a dû, doit, ou aura à se servir de mots, de phrases, souvent inusités, dans un
ordre auquel on n'est pas habitué tout en faisant d'énormes
pirouettes (désynchronisation de l'action dans un roman, par exemple,
disparitions et réapparitions de personnages, etc.), le tout pour
transmettre
ses idées, sa pensée, son message. Il ira même
jusqu'à inventer des mots, des temps de verbes, écrire un
faux manuel technique, un guide de voyage fictif, un livre dont la fin
est au milieu... Les variantes ou les possibilités sont illimitées.
Penser à retourner dans le temps et
d'essayer à expliquer à Jules César l'impact qu'a eu la
télévision dans votre vie ou ce qui pourrait lui passer par la tête
s'il pouvait déjeuner à New York (un
nouveau monde !) et de souper à Paris dans la même journée...
Vous voyez le problème, n'est-ce pas ?
Il se résume à ceci :
Il faut, quand on lit, s'adapter à ce
qui est écrit et s'efforcer de comprendre pourquoi :
- Les grands tragédiens du XVIIe siècle
se sont exprimés en vers et non seulement en vers, mais en vers de
12 pieds...
- Pourquoi entre Ruteboeuf (13e siècle)
ou Villon (15e) - il n'y a pas eu de poésie lyrique en France avant le
milieu du 19e ; didactique, oui, mais pas lyrique
- Pourquoi, depuis quelques années
on a de plus en plus tendance à soupçonner que Rimbaud, le plus
innovateur des nouveaux poètes à
la fin du 19e, fut un fumiste
- Pourquoi les grands observateurs du
comportement humain, de la vie urbaine, de la pauvreté au XIXe,
n'ont pas écrits des essais, des pièces de théâtre, mais des romans
- Pourquoi les grands écrivains du siècle
dernier ont écrit dans des styles auxquels - vous vous en êtes
aperçu j'en suis certain - nous avons tous encore de la difficulté à déchiffrer
- Pourquoi Proust dans un pseudo-roman qui est
souvent dit illisible - pensez-y : trois mille pages où il raconte des
histoires dans toutes les directions et on dirait presque au
hasard - a fait tout ou à peu près tout, avec ses longues et
courtes phrases, pour ralentir
la vitesse de lecture de ceux qui le liraient ?
- Pourquoi Céline a écrit dans une langue qui semble mais qui n'est pas du tout une
langue parlée
- Pourquoi James Joyce et Virginia Woolf qui
n'ont pas inventé ce style, se sont servi du "flux de la
conscience" (Stream of consciousness) pour écrire, l'un le
dernier chapitre de son Ulysse et l'autre son Mrs.
Dalloway
(En fait Joyce est allé encore plus loin,
il a écrit un roman où tous les mots ont plusieurs sens : i.e. "célescalader" pour
"monter au ciel", "a way" (un
chemin) et "away" (loin), "a last" (un
dernier) et "alast" (enfin) et... vous me ferez signe quand vous en serez rendu
à Thomas Pynchon qui, après une conversation, entre trois
individus, qui s'étire sur plusieurs pages vous signale qu'un de
trois était un chien errant...)
- Pourquoi Gide a-t-il dans un style
à donner des
cauchemars à tous les grammairiens...
Et je passe par dessus divers poètes,
des
essayistes, des philosophes, des historiens, des biographes et même
des cuisiniers, ces derniers qui, dans leurs recettes, se servent de produits disparus depuis des
années ... sans compter les académiciens dont les suites de mots ont une signification tout à fait
particulière :
Trois exemples :
J'me tiens avec un indienne de
quatorze ans
Y'a des aiguilles partout dans 'chambre
(Lucien Francoeur - Vancouver, la nuit)
... avez-vous besoin de plus
amples explications ?
Longtemps, je me suis couché de bonne
heure.
(Proust - Début de À la recherche du Temps perdu)
... Il se couche tôt, maintenant ?
pourquoi il a cessé ? et pourquoi ça a duré si longtemps ?
Et puis :
Le comportement de cet individu
avec ses réactions anticonformistes et son refus de répondre aux
questions qu'on lui pose quant à ses récents déplacement de même
que sa nervosité peu apparente, certes, mais dont les signes extérieurs
sont évidents, laisse supposer qu'il ne serait peut-être pas étranger
aux récentes perturbations que plusieurs témoins nous ont signalées
dans notre secteur et qu'en conséquence il serait sans doute préférable
de s'en remettre aux autorités locales...
(Qui veut dire : "On devrait
appeler la police.")
Et là, je vous épargne :
Ariane, ma soeur, de quel amour blessée
Vous mourûtes au bord ou vous fûtes laissée
(Racine)
ou
Je naquis [et non "je
suis né"] le 22 novembre 1869.
(Gide)
Ou en encore, en anglais :
We mourn in black, why mourn we not
in blood ?
(Nous portons le deuil en noir, pourquoi ne le porterions-nous pas
en sang ?)
(Shakespeare)
Henry James, Alain Robe-Grillet,
Nathalie Sarraute, ... les
soeurs Brontë... Virgile,... Sénèque... Pessoa... Neruda...
Georges Pérec...
Vous allez me dire : "Oh, ce
sont des exceptions..."
Alors ceci :
Le premier lundi du mois d'avril
1625, le bourg de Meung, où naquit l'auteur du Roman de la Rose.
semblait être dans une révolution aussi entière que si les
Huguenots en fussent venus en faire une seconde Rochelle...
C'est le début des Trois
mousquetaires d'Alexandre Dumas.
Et, curieusement, dans le lot, il y en
a qui ont écrit dans des styles totalement neutres ou presque :
Camus dans L'étranger, Simenon dans
la plupart de ses romans, Julien Green dans son Journal...
Sans compter des écrivains comme
John Le Carré où l'on ne commence à comprendre ce qu'il est en
train de nous raconter qu'au quatrième de ses chapitres qui se déroulent,
le premier à Rome, le second à Paris et le troisième à Moscou...
Et puis y'a le style télégraphique ou
journalistique : Hemingway, Dos Passos...
Et il y en a qui ont utilisé la
science-fiction (Isaac Asimov - un grand écrivain, ne vous trompez pas) ou carrément l'absurde (La cantatrice chauve de
Ionesco) et puis il faut deviner ce qui n'est pas dit chez Tchekhov
(Tchekhov qui pause des questions et ne donne jamais de réponses) ou
oublier ce qui est trop dit chez Saint-Simon sans compter les 75 premières pages
des Misérables de Victor Hugo où il vous dit que ce qu'il va
vous décrire n'a rien ou peu de choses à voir à ce qu'il va vous
raconter...
Ce qui revient à dire quoi au juste ?
C'est qu'il faut faire attention quand on lit. On ne se lit pas, soi,
mais on lit quelqu'un qui n'est pas soi.
Et, à l'écrivain , il lui faut faire
encore plus attention car :
Si parler et écouter sont
instinctifs...
(On apprend à parler en répétant les mots qu'en entend
parce qu'ils signifient quelque chose pour ceux qui nous entourent.
Même chose quand on écoute car ceux qui nous parlent utilisent
toujours les même sons pour décrire, des objets, des
situations, les mêmes noms pour identifier ceux qui nous entourent
et avec lesquels nous sommes familiers)...
... écrire et lire sont infiniment
difficiles à maitriser.
Celui qui écrit ou celui qui lit ne
savent pas à qui, le premier s'adresse, et le second, qui lui envoie
un message. Les deux ne connaissent pas nécessairement le
vocabulaire de l'autre, ni sa façon de s'exprimer ou sa capacité à
chiffrer et déchiffrer des lettres, mots et phrases. Pour celui qui
écrit, son lecteur n'existe que dans son imagination et, de ce fait,
celui qui le it ne peut pas l'interrompre pour lui demander des
éclaircissements.
C'est ce qui rend l'écriture et la
lecture deux arts qui exigent beaucoup de travail.
Autrement dit :
Si vous voulez lire quelque chose de
quelqu'un qui a une vision du monde totalement différente de la vôtre,
attendez-vous à lire quelqu'un qui n'utilise pas vos mots, qui ne les
combine pas comme vous le faites.
Et si vous ne faites que lire des livres
en escamotant tous les passages que vous trouvez difficiles, vous ne
faites que vous lire. Vous ne lisez pas ce que l'auteur a voulu vous dire.
En bref :
Ce qu'il faut viser quand on lit, c'est
ce qu'un autre a écrit et
cela demande un certain apprentissage et de cela, il
faut être conscient.
Lire, entre autres, c'est avoir l'humilité de se
dire que, si on est incapable de lire quelque chose disponible dans
toutes les librairies du monde et qui date de deux mille ans,
mille ans, cinq cents ans, cent ans après leur première publication
et que tout le monde considère comme des - entre guillemets - des
"chefs-d'oeuvre", ce n'est pas parce
qu'on est imbécile, c'est qu'on n'a pas encore appris à les
lire.
Maintenant ceci :
*
2 - Qu'est-ce qu'on lit et pourquoi on lit ?
C'est un autre aspect de la similarité et de la différence
entre l'écriture et la lecture.
Il y a deux types de...
Non !
Je ne vous le direz pas tout de suite au cas où je pourrais
vous laisser l'impression que, parce que vous n'avez jamais lu - comme
moi, je n'ai jamais lu - tous les grands classiques : Rabelais, Villon, Molière, Racine, Corneille,
Saint-Simon, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, Hugo,
Balzac, Zola, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Proust, Joyce et Cie (et
je n'ai pas mentionné Sophocle, Euripide, Eschyle, Tite-Live,
Virgile, Shakespeare, Byron, Milton, Dante ou trois de mes auteurs favoris ces
temps-ci, Ruskin, Le Carré ou Alphonse Allais), je me, nous nous,
considérons
comme des lecteurs incomplets, des amateurs, des ignares.
Sauf que j'en suis un - de la dernière catégorie. Non seulement un lecteur
ignare - mettons inintelligent-, mais en plus, je possède une qualité rare : je suis désorganisé.
Ma table de chevet... - façon de parler : j'en
n'ai pas - mon appartement, mes appartements sont encombrés de
livres depuis des années. - Ce ne sont pas des aiguilles que j'ai
partout, comme Lucien Francoeur à Vancouver, mais des livres.
J'ai beau en lire, en donner, m'en débarrasser, y'a toujours d'autres
qui finissent par les remplacer.
C'est une course contre la montre. Ce qui est le
plus curieux dans toute cette affaire, c'est que plus je lis, plus je
m'aperçois que je n'ai jamais rien lu - ou si peu - et ce que j'ai lu,
je l'ai probablement lu incorrectement. - C'est frustrant.
Mais - et là je passe à un autre aspect de la
lecture :
Quel que soit le nombre ou le genre de livres que
j'ai lus, que vous lisez ou que vous avez lus - romans d'amour, romans policiers, biographies, livres
d'histoire, bandes dessinées, livres de cuisine, livres sur la politique, les oeuvres complètes
d'un poète du nom de Théodore
Crapulet ou des essais sur...
deux exemples - pour vous
faire rire :
- l'histoire authentique de la fabrication des archets de violon
en Auvergne au 16e siècle (deux tomes)
et comme le dit Achille Talon (Greg)
- un essai sur la pensée parallèle des moines contestataires de
l'Afghanistan lors du grand schisme de 1045...
... nous pouvons facilement entre
nous être d'accord sur une
chose : qu'il existe des livres bien écrits,
des livres mal écrits, des livres qui parlent de tout, mais de
rien, des livres facilement lisibles et d'autres illisibles et même
des livres qu'on ne devrait imprimer - tout comme certains disques
d'ailleurs - que sur des matériaux biodégradables.
Autrement dit : y'a des bons et des mauvais
livres.
Avec cette nuance :
Les livres que vous considérez mauvais
font peut-être partie de mes bons et vice versa.
Un question de choix et je ne vois pas
pourquoi je mettrais les miens ou les vôtres en doute.
On se comprend quand même : y'a des
bons et des mauvais livres dans ceux qu'on a déjà lus.
Faut dire - une autre chose sur
laquelle nous serons d'accord - c'est pas donné à tout le monde d'être
en mesure de voir la différence. Entre deux livres que j'ai été
incapable de lire, je ne peux pas vous dire la différence.
Et puis, entre vous et moi, faut pas
charrier quand même :
Il y a des gens qui n'ont
pas de goût. Ils ne savent pas
s'habiller, ne savent pas conduire, ne savent pas manger, ne savent pas
parler, ne savent pas lire et s'obstiner avec des personnes de ce
genre-là,
c'est une perte de temps.
Quelques illustrations qui
n'ont pas été mentionnés au cours de la causerie :
Est-ce que vous vous souvenez des
Cyniques ? - Dans un de leur sketchs, Marc Laurendeau, en directeur
du CANAL 10 (à ses débuts), dit à un de ses réalisateurs :
"Ton générique, à la fin, coupe-moi ça. La moitié de
nos auditeurs savent pas lire..."
Personnellement, je me souviens avoir entendu une fois,
au sujet de Mireille Mathieu ou de Céline
Dion - que l'une ou l'autre avait été ou était
la plus grande chanteuse de
tous les temps, parce ce que, contrairement à Claire Gagnier ou Maria
Callas, quand l'une ou l'autre chantait, on comprenait tous les mots qu'elle disait.
Vous savez ce qu'on dit d'Elvis
Presley de nos jours ? Que s'il y avait une justice en ce bas-monde,
Elvis serait encore vivant et tous ses imitateurs... morts.
Fin des illustrations
Peut-être que, plus jeune, si on
m'avait dit que Shakespeare ou Proust étaient des nullités,
j'aurais consenti à aller me battre dans la ruelle à l'arrière d'un bar, mais j'ai passé cet âge-là.
Quand il arrive de nous retrouver
dans des situations du genre, il n'y a
qu'une seule solution : la fuite.
S'agit de ne pas juger.
Personnellement, je ne juge pas les
choix des autres. Je les condamne souvent, mais ne les juge jamais.
Tenez :
Depuis que je suis arrivé dans la région
(je suis un bonhomme originaire de la banlieue de Valleyfield : Montréal),
j'e connais un fermier de
Saint-Polycarpe - probablement analphabète, je ne lui ai jamais
demandé - originaire de Beauce qui ponctue en s'exprimant ses phrases de sacres et de blasphèmes
- Christ, pour lui, c'st une virgule ; Tabarnak est un point
d'exclamation... Je ne vous en dit pas plus... mais il est en train de m'enseigner des mots, des expressions que, dans mon imagination la
plus profonde, je n'aurais jamais penser exister. - Je trouve ça
extraordinaire.
Quand je le vois, je me dis Adieu Shakespeare, bonjour mon
cher Beauceron.
Pas juger, pas condamner, des fois,
c'est bon.
Mais y'a des écrivains que je ne peux
pas supporter. J'ai une citation à la fin qui vous dira pourquoi.
En attendant :
Le problème n'est pas dans le genre ou le
nombre de livres qu'on a lus ou pas lus par rapport ce que d'autres
ont pu
lire ou pas lire :
Il est
dans quelque chose qu'on oublie souvent : qu'il existe deux sortes de
livres qui peuvent être ou bons ou mauvais :
- Les livres que l'on lit pour se détendre
- Les livres que l'on lit pour se
renseigner ou les livres qui nous révèlent quelque chose qu'on ne
connait pas, qui nous font
découvrir les côtés cachés de la vie, qui frappent notre
imagination, qui nous aident à passer à ou au travers certaines
difficultés. Ceux-là sont un peu plus rares.
Ruskin, un essayiste anglais de la fin
du XIXe les appelaient : UN, les Books of the
Hours ou livres qui meublent nos temps libre et DEUX, les Books of a Lifetime
ou livres qui nous ouvrent des horizons nouveaux.
Je ne veux pas m'étendre là-dessus
car vous avez très bien ce que je veux dire. - Si vous avez lu le
moindrement, il y a un, deux, trois livres qui vous ont fait
changer d'idées, qui vous ont fait regarder les choses, la vie, le
monde d'une autre façon, qui ont modifié votre façon de
penser, qui vous ont consolé, réconforté, qui vous ont enseigné
une certaine sagesse et qui, de ce fait vous ont rendu heureux.
J'en ai. Nous en avons tous.
Ce sont ce que Ruskin appelait les trésors cachés
de la littérature ; les diamants
qu'il faut parfois beaucoup de temps à trouver, mais qu'on sait
tous qu'ils existent.
Le truc, le grand truc, l'essentiel
à savoir quand on lit, c'est de ne pas confondre les deux et
surtout, car c'est là le secret le mieux gardé de la littérature,
ceux qui, à long terme, valent le temps d'être lus font généralement
partie de ceux qui sont difficiles à trouver et pas faciles à lire.
En bref, lire ça ne doit pas être une
recherche continue pour trouver l'auteur, le livre qui nous confirmera que nous sommes en possession de la
vérité, parce qu'on a trouvé, enfin, une personne qui est
d'accord avec ce que l'on pense.
Non.
Lire, c'est ouvrir une fenêtre et
regarder ce que les autres voient, pensent ou ont pensé non pas pour
devenir vedette à la télévision, mais pour nous communiquer leur
vérité, celle qu'ils ont trouvée, il y cent ans, deux cents ans ou
plusieurs siècles avant qu'on fasse notre spectaculaire entrée sur
terre et même huit siècles avant Jésus-Christ, comme Homère dont
l'Iliade et l'Odyssée sont toujours en vente dans les meilleurs
libraires.
Cent ans ?
Vous saviez ce nos arrières-arrières-grands-parents
- dans mon cas, c'est "grands-parents" tout court - disaient dans leur temps ?
- que les femmes n'avaient pas les
cheveux mauves
Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'on dit ?
Que les Peintres Impressionnistes sont dépassés.
POSSIBILITÉ D'AJOUTS ICI :
(Selon le temps disponible ou à rapporter à la fin
)
- Doit-on oublier les formes littéraires du passé ? (I.e. : est-ce que l'IMAX est supérieur au Cinémascope,
les films en couleur supérieurs au films en noir et blanc, les parlants aux muets ?)
- Les CDs, plus fidèles que les 33t supérieurs aux 78t ? - Ou s'agit-il de média différents
?
- Que dire des "vieux
pays" qui n'auraient rien à nous
enseigner ou des plus beaux paysages au monde (Gaspésie) quand on n'a jamais vu les falaises d'Étretat
ou le Kilmandjaro ?
- Est-ce que le roman est une forme littéraire désuète ?
- Quelle est l'utilité de relire des livres que l'on a déjà lus ?
- Doit-on tenter de se représenter visuellement les objets, personnages, pièces ou paysage décrits dans les livres ou tout simplement en lire la description ?
- Est-ce que dire que Moby Dick (un exemple) est un roman qui tourne autour de l'obsession et de la vengeance
est suffisant pour en résumer l'essentiel ?
La question fondamentale, c'est dans
le fond, qu'est-ce qu'on devrait lire ?
Rétif de la Bretonne, un auteur dont
on entend parler tous les jours au bulletin de nouvelles de six
heures - sinon à onze heures - écrivait au début du 18e siècle, tout de suite après la mort de Louis
XVI : "Dans deux, trois cents ans, qu'est ce que les gens vont penser de nous qui avons
assassiné notre roi ?"
Dans le même ordre d'idée :
Dans cinquante ans et probablement avant, qu'est-ce que les lecteurs vont penser de
ce que nous lisons en ce moment
?
Et c'est ainsi que j'en arrive - «finalement !»
diront certains d'entrevous - j'en arrive aux récipiendaires de prix littéraires
et aux meilleurs vendeurs ou Best Sellers, le sujet de
la deuxième partie de mon élocution qui va être beaucoup plus
courte que celle-ci et, surtout, sera précédée d'une pause bien méritée.
Mais auparavant :
J'ai dans les mains une liste de 300
noms (y'a des doubles) qui sont ceux, classés chronologiquement des récipiendaires
des trois plus prestigieux prix ou nominations distribués de 1904
à 2003 ; 1904 parce que c'est l'année où les trois ont existé
simultanément pour la première fois et 2003 pour ne pas nous rendre jusqu'à aujourd'hui
et nous arrêter à un peu moins de dix ans.
Ces prix sont :
- Le Nobel de la littérature
- Le Prix Goncourt
- Le Prix Femina
Voir
ci-joint
J'aurais pu en choisir d'autres et
j'en parlerai au retour, mais, si ce genre de listes vous intéresse(nt),
je vous suggère de la consulter brièvement et de compter le nombre des
noms de ceux, non pas que
vous avez lus, mais qu'au hasard de vos lectures, de vos visites à
la bibliothèque de votre quartier ou chez votre libraire favori
vous avez déjà aperçus ou tout simplement entendu parler.
À tout de suite.
Deuxième partie
(Troisième sous-thème)
Que devrait-on lire ?
ou
Est-ce que les Best Sellers ou les
livres écrits
par des lauréats de prix littéraires sont de ceux
qu'on pourrait qualifier d'essentiels ?
(Disons tout simplement : de bons
livres)
Note :
La deuxième partie de cette causerie se voulait plus un "échange" entre l'animateur et son public qui, d'une part était encouragé à poser des questions et
qui, d'autre part, par leurs commentaires, en soulevaient d'autres.
Ces questions, commentaires et autres interventions ont été intégrés
dans ce qui suit.
Nous sommes de retour :
Question : combien d'entre vous avez reconnu plus que vingt-cinq noms
dans la liste que je vous ai remise ? Vingt... ? quinze ? - Au
moins dix...
Vous n'avez pas eu le temps ? Pas
grave. Vous la consulterez plus tard et je vous promets que , en
moyenne, vous ne dépasserez
pas la vingtaine... ; mettons, parce que vous vous intéressez énormément
à la littérature, la trentaine.
Ne vous en faites pas, la moyenne est
de vingt-trois et ça, c'est additionnant tous les noms de ceux qui en
groupe en ont trouvés.
Le record est de 47, mais ce nombre ne
compte pas : c'était celui d'un professionnel, un bibliothécaire de
plus de cinquante ans.
Vous ferez le test dans votre
entourage. Non seulement avec les trois séries que je vous ai
fournies, mais en y ajoutant vos propres lauréats d'autres prix.
Vous aurez le choix :
On distribue plus de 500 "Prix
littéraire" en France, à chaque année et ça peut aller jusqu'à deux mille
parce qu'on en décerne dans la plupart des Book Clubs et
institutions d'enseignement.
Au Québec, le dernier décompte se
situe entre 140 et 150.
C'est rendu au stade où, si vous
publiez quelque chose demain matin, vous courez la chance d'en gagner un si votre livre se vend le
moindrement bien ou qu'on mentionne votre nom à l'émission Tout le
monde en parle ou dans le Devoir.
Vous ne me croyez pas ?
Je vais vous en nommer quelques uns :
-
Le prix de la revue Stop
-
Celui du gouverneur général
-
Celui de Radio-Canada
-
Le Grand prix du livre de la
ville de Sherbrooke
-
Le Prix du Journal de Montréal
-
Le Prix Athanase David
-
Le prix Émile-Nelligan
-
Le prix Abitibi-Bowater
-
Le Prix Adrienne Choquette
-
Le prix Alphonse Desjardins
-
Le prix des Écrivains francophones
d'Amérique
-
Les prix des salons du livre de
Montréal, de Québec, de Trois-Rivières., de Val d'or...
Remarquez qu'il se peut qu'il y
en un à Godmanchester
[*], j'ai pas vérifié.
[*] Petite
municipalité au sud de Valleyfield, là où lieu cette causerie
(Note de l'éditeur)
Que vous ajoutiez tous les récipiendaires
de ces prix à la liste que je vous ai remise, ça ne changera pas grand
chose.
La moyenne des noms que ceux à qui vous poserez la question
quant à votre liste, ne dépassera pas beaucoup la vingtaine.
Or 20 noms sur plus de 300, c'est pas 7%.
Je suis prêt à vous en concéder 30, certains noms étant forcément connus de certains, mais non par tous, soit...
10%.
Vous allez me dire que c'est une
statistique parmi d'autres. Oui et je vais vous en donner la preuve
tout de suite :
C'est l'histoire du statisticien qui
s'est rendu dans une série de pénitenciers américains pour y
recueillir des informations sur l'alimentation des prisonniers.
Premier établissement : ils note que 7% seulement préfère le riz
aux pommes de terre pour accompagner leurs repas ; dans un deuxième,
6% ; dans un troisième 8,2% et ainsi de suite. - À la toute fin,
ayant visité 108 institutions, il se retrouve avec un moyenne de
7,8%. - Sa conclusion : la pomme de terre mène au crime.
J'ai dit 10% ? - Soyons généreux.
Multiplions ce chiffre par trois : 30%.
Vous savez ce que veux dire ce 30% ? Ça
signifie tout simplement qu'au cours d'une centaine d'années, sept écrivains sur dix des récipiendaires de prix littéraires
sont tombés dans l'oubli après un certain laps de temps. Parfois très
court.
Lisez la liste des prix Nobel et
retracez les noms des écrivains français qu'on ne lit plus ou presque
plus aujourd'hui et vous allez trouver des noms comme :
-
Sully Prud'homme (1900)
Y'a quelqu'un, ici, qui se souvient avoir lu du Sully
Prud'homme... récemment ? Et y'en a d'autres :
-
Frédéric Mistral (1904)
-
Maurice Maeterlinck (1911)
Pour ce dernier, une note spéciale : on s'est servi de son texte pour le
Péleas et Mélisande de Debussy
Je continue :
-
Romain Rolland (1915)
-
Anatole France (1921)
-
Henri Bergson (1927)
-
Roger Martin du Gard (1937)
-
André Gide (1947)
Levez la main si vous avez lu quelque chose d'André Gide récemment...
-
François Mauriac (1952)
-
Albert Camus (1957)
...pourtant populaire, à ce qu'on dit, ces temps-ci à cause de
son roman "La Peste" qui, soit dit en passant, a
très peu de rapports avec celles du Moyen-âge ou la pandémie
actuelle...
-
Saint-John Perse (1960)
-
Jean-Paul Sartre (1964)
Un gros vendeur en son temps , Sartre, jusqu'à ce qu'on réalise, comme
me disait un ex-professeur de philosophie à la Sorbonne, que sa
philosophie tenait en une demi-page
-
Claude Simon (1985)
Vous comprenez ce que je veux dire :
On ne peut pas se fier aux prix littéraires. Pour
une raison très simple :
Règle générale, ils sont distribués
par des contemporains à des auteurs contemporains, c'est-à-dire à
des auteurs qui parlent de leur temps, qui expriment des opinions
courantes, rarement révolutionnaires ou visionnaires.
Ma politique - si vous me permettez
d'appeler ça une politique - est simple :
Je ne lirai pas dix auteurs pour en
trouver un, peut-être deux qui pourraient avoir des idées sur
une situation autre que temporaire, éphémère, des idées probablement
importantes, mais importantes que sur
le coup, sans vraie conséquence sur une vie entière et dont l'intérêt va
disparaitre
dans la fosse commune de l'histoire littéraire. De l'histoire tout
court.
(Le mot est d'Aragon.)
Pensez aux nombres de livres qu'on
publie en ce moment sur Trump et à un ou des auteurs de ces livres à
qui on va décerner, entre
autres, le Prix Pulitzer. - Et comparez le nombre de livres - je ne
sais pas si vous vous en souvenez - publiés sur Nixon, sur Kennedy...
Existe-t-il encore aujourd'hui des gens
qui tiennent absolument à lire la biographie de Sadam Hussein ? Ou
l'intervention américaine au Vietnam ? - Promenez-vous dans le CEGEP,
pas loin d'ici, et demander aux jeunes qui fut Bourgault, ou qui a
inventé l'expression Révolution tranquille ou ce que fut le
Refus Global...
Ce qui m'étonne le plus en ce moment
ce sont qui, par exemple, sont convaincus que dans
deux cents ans, on parlera encore d'Elvis et des Beatles...
Ma propre belle-soeur est convaincue
que, s'il y a du chômage aujourd'hui, c'est à cause des immigrés
qu'on a laissé entrer et qui nous ont volé nos jobs. - Puis
traversez l'Atlantique et demandez aux Français ce qu'ils pensent des
Arabes...
On a écrit des livres là-dessus.
Personnellement ?
Je suis un Léautaud dans l'âme. - Paul Léautaud
qui disait qu'il se sentirait déshonoré d'être considéré pour un
prix quelconque. - Je ne dis pas ça pour moi, mais pour ceux qui
aspirent àa la notoriété d'ëtre un écrivain reconnu.
Ce que Léautaud ne disait pas, c'est qu'un
prix littéraire, ça ne veut rien dire
Ce qui m'amène à ne pas vous
parler des "Coups de coeur" des employés d'un
certain libraire qui ne savent même pas comment épeler correctement
Léon Bloy en cherchant dans la base de données contenu dans leur ordinateur.
*
Alors qu'est-ce qu'on lit ? Les Best Sellers ?
C'est encore pire. Et pour ça, vous
n'avez qu'à vous fier au Best Sellers d'un temps pas si loin :
Au XIXe et début du XXe siècle,
vous savez qui furent les gros vendeurs en France ?
Hugo, oui. Ça arrive que le public se
trompe.
Les vrais gros vendeurs en France au
XIXe ?
Jules Verne, Georges Ohnet
[*], Anatole
France, Fromentin, Huysman, Alphonse Daudet, Georges
Sand, les deux Dumas...
[*] Pour ce Ohnet,
voir la chronique de Simon Popp dans Le
Castor™ du 6 aout 2018.
Et loin, en second, des noms qui sont
restés : Zola, Balzac,
Flaubert et Stendhal.
En Angleterre, pensez à Anthony
Trollope, dix fois les ventes des soeurs Brontë, de Tacqueray, de
Jane Austen, de Charles Dickens réunis...
Les Best Sellers, aujourd'hui, vous
savez qui ils sont ?
-
Barbara Cartland
-
Danielle Steel
-
Harold Robins
-
J. K.
Rowling
-
Stephen King...
En français, :
-
Guillaume Musso
-
Virginie Grimaldi
-
Michel Bussi
-
Franck Thilliez
-
Joël Dicker...
et loin derrière
;
Je ne peux pas vous en parler, je
ne les connais pas, mais tous, sans exception pour le peu que je me
suis renseigné sont connus non pas pour leur style, leur
extraordinaire talent d'écrivains, mais parce qu'ils racontent des histoires, des histoires dont on tire des
films pour grand écran, des téléromans, d'autres films (mais tournés pour la télévision et on sait ce que ça
veut dire) et, malheureusement, comme je l'ai expliqué dans la première
partie de cette intervention, je ne lis pas des histoires.
J'en ai lues, forcément et des
adaptations pour la télé, j'en ai vues. Mais après un certain
temps, je me suis demandé pourquoi ?
Improvisé :
Un employé de bureau qui entre chez
lui pour regarder, sa journée finie, un téléroman qui se passe
dans un bureau...
Un membre d'une famille qui tient à
regarder ce qui se passe dans une autre famille qui ressemble étrangement
à la sienne...
et puis :
À quoi, vivant à Valleyfield, il
est nécessaire que j'apprenne, matin, midi et soir, qu'il y a eu un incendie sur le Plateau Mont-Royal ou
un meurtre à Montréal Nord ? Ou qu'un train a déraillé en
Afraghanistan ? - Je n'ai pas lu le dernier Musso, ni les fonds de
tiroirs de Jean d'Ormesson, ni plus que vingt ligne de
Houllebecq... Et puis quoi ?
Avec le temps, je suis devenu - et
c'est la raison pour laquelle je suis venu ici ce soir, c'est pour
que vous deveniez à votre tour le Greta Garbo de la littérature
: je demande, j'exige qu'on me laisse tranquille avec mes
livres et qu'on ne me présente pas à quelqu'un qui se prend pour
un grand critique ; surtout un grand critique de littérature.
*
Car, comment voulez-vous que je me fie aux critiques
qu'on peut lire dans les magazines spécialisés
(Revue littéraire, Lire ou
Histoire Littéraire...). Comment peut-on se fier aux comptes
rendus de critique qui publient leurs opinions dans des
magazines dont les revenus proviennent en majeure partie de maisons d'édition ?
J'en ai lu deux de ces grands penseurs,
dans leur temps.
Sainte-Beuve :
- Charles-Augustin Sainte-Beuve fut un critique littéraire et écrivain français, né le 23 décembre 1804 à Boulogne-sur-Mer et mort le 13 octobre 1869 à Paris.
Ses titres de gloire :
- s'est attaché à encenser des écrivains dont les noms ne signifient plus rien aujourd'hui.
- mais il s'est permis de négliger et même condamner des auteurs comme Baudelaire, Stendhal ou Balzac
André Rousseaux : :
- Il est né le 23 mars 1896 et décédé
le 26 novembre 1973. Il fut un journaliste, critique littéraire et essayiste.
- Il s'est prononcé, lui, sur les auteurs
qui lui a semblé être importants de la première moitié du XXe siècle
: Saint-John Perse, Claude Varrès, Pierre-Jean Jouve, André Masson, Maurice Blanchot, Joé Bousquet, Amiel, Robert Musil, Cesare Pavese, Segalen...
- mais également sur René Char, Michel Butor, Claude Simon, Dos Passos, Valéry,
Larbaud, Martin du Gard, Lorca, Sagan et, entre autres Teilhard de Chardin (*)
(*) qu'un critique anglais, finalement, tentant de le traduire découvrit que son oeuvre était une
supercherie complète, si difficile à lire, dit-il, que ceux qui ne
juraient que par lui faisaient partie de ceux qui ne l'avaient jamais lu...
Mon opinion :
(Non seulement sur ces deux écrivains, mais sur
l'ensemble des critiques littéraires que j'ai lu au fil des ans)
J'ai toujours eu l'impression que leur métier
consistait à attirer l'attention de leurs lecteurs sur les livres
qui les intéressaient et rien d'autre ; et qu'en plus leurs
jugements étaient basés sur des critères de leur temps, c'est-à-dire
que leur vision générale était de ce fait limitée et souvent
sans rapport avec les possibilités d'une littérature plus explorative
(?).
Sans compter les erreurs qu'ils ont commises.
Ainsi, quoi penser de ceux qui ont déclaré ouvertement qu'un
livre sur un certain Marc Ronceraille était d'une grande
justesse alors qu'il s'agissait d'un écrivain fictif, l'objet
d'un canular ou encore des membres de l'Académie Goncourt qui ont
décerné deux fois leur prestigieux prix au même auteur : Romain
Gary, alias Émile Ajar.
En bref, j'avance que devant l'impossibilité de séparer le bon du mauvais ivraie dans ce qui se publie aujourd'hui
, il est préférable de lire plus de "classiques" que de s'amuser
à trouver qui, parmi les 1000 écrivains qu'on publie dans une année, les deux ou trois dont les noms seront retenus par la postérité
parce qu'ils ont eu le génie d'être hors du temps...
Deux ou trois... par siècle !
Mais pour cela, il faut apprendre à
lire...
*
En terminant, voici quelques citations
à propos de la lecture qui m'ont toujours semblé intéressantes :
Léon Tolstoï
(à qui, en passant, on aurait dû décerner le premier prix Nobel
de la littérature car il était, lors de sa fondation, l'écrivain le
plus admiré au monde, mais on n'aimait pas son genre, sa morale...)
«Vous savez ce qu'étaient les écrivains [à mon époque] ? Je vais vous le dire., moi, car j'ai vécu parmi eux. À peu près tous des amoraux, et pour la plupart, soit insignifiants, soit carrément mauvais, en tous cas, d'un caractère beaucoup plus bas - et c'était déjà pas brillant - que ceux que j'avais rencontrés dans ma vie militaire. - Et ces gens qui faisaient semblant d'être des prédicateurs - enfin : d'avoir un secret pour le bonheur du monde -, en réalité , leur désir le plus vrai et le plus intime, la seule chose qui les occupait pour de bon, c'était de recevoir le plus de louanges et le plus d'argent possible. Ce qui leur plaisait énormément, c'était être entourés d'estime, d'avoir des aventures galantes, c'était toucher pas mal d'argent...»
Octave Mirbeau
«Chaque fois que j'apprends qu'un artiste que j'aime, qu'un écrivain que j'admire viennent d'être décorés, j'éprouve un sentiment pénible, et je me dis aussitôt : Quel dommage !»
Félicien Marceau
«Il importe d’avoir lu Balzac, tout Balzac, écrivait André Gide dans
ses Incidences. Quelques écrivains ont cru pouvoir s’en dispenser ; dans la suite, ils ont pu ne pas bien se rendre compte eux-mêmes de ce qui leur manquait ; on s’en rend compte pour eux . Comme Dostoïevski disait : nous sortons tous du Manteau, ainsi les trois quarts des romanciers français devraient dire : nous sommes tous les fils du Père Goriot.»
Paul Claudel
«Les grands écrivains n'ont jamais été faits pour subir la loi des grammairiens, mais pour imposer la leur.»
Et puis finalement d'un de ceux dont le
nom figure parmi les récipiendaires du Prix Goncourt (ses amis lui
ont acheté) :
Marcel Proust
«La grandeur de la littérature, c'est de nous faire retrouver, de ressaisir, de nous faire
connaitre cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l'avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie, par conséquent, réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas «développés.
«Peut-être est-ce le néant qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu'il faudra que
les livres que nous auront lus, ces notions qui existent par rapport à
eux ne soient rien non plus. Nous périrons, mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles aura quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moins probable.»
Un dernier point :
S'il y a trois choses que j'ai réussi
à mettre en doute à vos oreilles peut-être peu accoutumées au
genre de discours que je viens de tenir - outre le fait qu'il faut
d'abord et avant tout savoir lire, ce sont :
1) qu'il est fastidieux de faire
le tri dans les récipiendaires de prix littéraire,
2) que les Best
Sellers ne veulent rien dire et que
3) on ne peut pas se fier aux
critiques, ben je n'aurai pas perdu mon temps.
Et ce faisant, j'aurai peut-être
fait avancer un peu la littérature, une de mes grandes passions.
Ne me reste plus qu'à vous
remercier.
Alors :
Merci à vous tous qui ont eu la
patience d'être venus et de m'avoir écouté avec un intérêt que
je qualifierai de très sincère.
paul
Le lundi 3 janvier 2022
Ajout au 23 juin 2023 :
Voici ce que j'ai lu dans les Carnets de Henry
de Montherlant (Alger - du 19 septembre au 31 mai 1931) :
«Je recopie dans un vieux journal (de février 1929) le texte suivant. La signataire vient d'obtenir le Prix
Femina :
"La gloire. J'ai senti son aile effleurer mon front au soir de ce grand jour, lorsque penchée au balcon de l'hôtel d'Orsay, très haut, presque sous les combes, je regardais Paris, tout phosphorescent dans la nuit brumeuse[...] Paris ma récompense ! La gloire, ce sont les noces silencieuses que nous avons célébrées tous les deux, Paris et moi, ce soir-là ; la grande. Ville Lumière, avec une condescendance toute masculine ; moi, avec un coeur tremblant d'épouse qui craint de ne pas plaire. Puissions nous ne jamais divorcer !
"La gloire, c'est encore la permission de venir s'asseoir quelquefois dans le salon de Madame Alphonse Daudet. De pouvoir frapper à la porte de Madame Marcelle Tinayre. D'être autorisée à monter l'escalier de Madame André Corthis. De Madame Judith. Cladel. La gloire ? Des portes qui s'ouvrent."
«La signataire s'appelait Madame Dunois.»
*
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Dominique Dunois
Nom de plume de Marguerite Lemesle, née le 27 avril 1876 à Paris et morte le 16 janvier 1959 à Privas (Ardèche) fut lauréate du Prix Femina en 1928 pour
Georgette Garou.
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Comité du Prix Femina en 1926
[De droite à gauche assises,] Mmes E. Duclaux, A. Daudet, Gabrielle Réval, Zanta, Delarue-Mardrus, Myriam Harry , [debout] Saint-René Taillandier, Judith Cladel, Jean Dornis, André Corthis, [?], Hélène Vacaresco, Colette Yver.
(Les photos ci-dessus sont de l'Agence Rol — Le fonds Rol est détenu par la Bibliothèque Nationale de France.)
*
Note :
Le prix Femina est un prix littéraire français, créé en 1904 par vingt-deux collaboratrices du magazine
La Vie heureuse, afin de constituer une contre-proposition au prix Goncourt, jugé misogyne en raison notamment de son attribution, cette année-là, à Léon Frapié, aux dépens de la favorite Myriam Harry. (Wikipédia)
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