Il faut s'imaginer une page
où il n'y qu'un mot : «début». Et des milliers de pages contenant des textes, des images,
des contes, des extraits sonores, des livres complets, des
bouts de films qui convergeant vers elle ou qui en proviennent. On peut également s'imaginer cette page comme étant celle de laquelle on peut aller vers toutes les autres soit directement, soit en passant par d'autres pages. On peut aussi s'imaginer des pages reliées entre elles, mais desquelles on ne peut s'échapper qu'en revenant sur ses
pas.
«On se retrouvait dans un dédale inextricable de ruelles, de carrefours et de culs-de-sac, qui ressemblait à un écheveau de fil brouillé par un chat» (Victor Hugo)
L'idée d'une sphère multidimensionnelle, refermée sur elle-même, mais en continuelle expansion avec des
liens qui permettent de passer d'un point à un autre, n'est pas étrangère à cette vision car, si d'une page on peut passer à une autre, cette autre n'est pas nécessairement adjacente ni dans le temps, ni dans l'espace à cette première.
«Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute...» (Georges Perec)
Pour que le tout soit néanmoins cohérent, il faut accepter :
1) que chaque page, pour être reliée
à l'ensemble, doit être accessible d'une ou plusieurs autres et, en
même temps, avoir des liens vers une ou d'autres pages ;
2) que, pour avoir accès à l'ensemble de ces pages, on ne doit pas être obligé de passer par une en particulier, chaque page
étant indépendante tout en étant reliée aux autres.
La contrainte, s'il y en a une, est que les pages ne doivent pas se suivre séquentiellement sauf lorsque leur contenu individuel est trop important pour être manipulé efficacement. Appelons ces pages ou groupe de pages, des méga-pages ; leur ensemble, quoique constitué de plusieurs pages, doit être soumis aux mêmes règles que les pages uniques.
***
Il faut s'imaginer un ensemble de ces pages (ou de méga-pages) en perpétuelle évolution : le contenu de
chaque page pouvant être modifié à tout moment ou tout simplement
supprimé, remplacé (ou non) par un autre.
À cet ensemble il est
possible de joindre un ou plusieurs index, ces index ne devant cependant pas servir à guider le lecteur mais à le transporter d'une page à
une autre autrement que par un lien direct ; ces index peuvent également servir à lui indiquer si tel ou tel sujet est traité à l'intérieur de l'ensemble car, si les pages ne sont
pas regroupées par sujets, une même page peut contenir plusieurs sujets et les mêmes sujets peuvent être traités dans des pages
non reliées entre elles. Et il faut surtout prévoir que le lecteur ne débutera pas nécessairement par une page précise mais qu'il pénétrera dans cet univers par une page que, souvent, le hasard d'une recherche lui aura indiquée.
«People who ask "Is Oedipus Rex a real story ?" miss the point : in one sense, it is fiction, in another, more important sense, the story is more true than the headlines in today's newspapers.
Masks have a reality of their own, just as drama do. - The real question is not "Is Oedipus Rex a real story ?" but : "What does the creation tells us about the creator ?"» (Phil Pastras)
I.e. :
«Les gens qui se demandent si
Oedipe-Roi a vraiment existé ratent complètement ce que sa
tragédie doit leur inspirer. Essentiellement, il s'agit d'une
histoire qui se rapporte à des faits - qu'ils soient fictifs ou non
- plus importants que ceux qu'ils peuvent
lire à la une de leurs quotidiens.
«Les masques font partie de la réalité
tout comme les drames, qu'ils soient vrais ou faux. Ils nous
renseignent plus sur ceux qui les portent car les créations nous
renseignent sur leurs créateurs.»
(Phil Patras)
***
Il faut s'imaginer un homme dont on ne connaît rien et qui nous est présenté pour la première fois. Nous le voyons dans un certain
contexte : dans un restaurant, à son travail, au cours d'une réunion
quelconque, à un événement sportif. Nous examinons ses vêtements, son visage, ses lunettes. Nous apprenons qu'il fume, qu'il boit du scotch, qu'il est sûr de lui ou nerveux.
Voilà quelques pages gravées dans notre cerveau à propos de ce
Monsieur X. - Il se peut même que ce jour-là, nous n'apprenions même pas son nom.
Plus tard,
dans d'autres circonstances, nous le rencontrons
à nouveau presque par hasard ; en compagnie, cette fois-là, de sa conjointe. Nous apprenons qu'il est marié, qu'il a deux enfants, qu'il demeure dans un pavillon de banlieue, qu'il conduit une voiture sport.
- D'autres pages. - Plus tard, encore, nous le revoyons chez des amis où il nous fait part qu'il
a lu Tourngueniev, qu'il a vu Nosferatu,
The Wedding March et From Russia With
Love, qu'il a aimé le premier mais pas le
deuxième, qu'il collectionne les horloges et, de pages en pages, nous finissons par nous faire une idée de ce que peut être cet homme : ce à quoi il pense, s'il est logique, imaginatif, sensible, s'il rêve ou s'il ne rêve
pas... s'il
sait mentir ; ou s'il change d'idées souvent...
s'il a une bonne mémoire ou même un
côté qu'il tient à nous cacher.
Il faut s'imaginer la vie de cet homme vue au travers les pages que
d'autres ont retenues de sa personne. - Pour l'un, il sera ceci, pour un autre, il sera différent.
Il faut s'imaginer un site qui aurait pour point d'origine les
pages relatives à cet homme et que ces pages nous seront présentées dans un ordre plus ou moins aléatoire, que l'importance ne sera pas donné à ses faits et gestes mais à ses pensées, ses humeurs, ses connaissances ; que ces pensées, humeurs ou connaissances soient
importantes ou non, ce sera à nous de décider.
***
Il faut s'imaginer un site où le réel va côtoyer l'irréel, un site où les personnages fictifs agiront dans la réalité
et où les personnages réels poseront des gestes dans l'irréel. Il faut s'imaginer un site où les informations qui y sont contenues pourront être vraies ou fausses, où beaucoup d'importance sera donnée à des choses qui n'en ont pas et aucune importance à celles qui en ont, où les liens ne mèneront pas nécessairement là où l'on pense aller. Il faut s'imaginer un site constitué de pages apparemment sans but. Et il faut aussi s'imaginer un site où l'humour, les pièges et les fausses pistes ne seront pas exclus.
Il faut s'imaginer un site dont le contenu nous en
dira plus long sur son créateur que sur sa création.