Point de vue

Marcel Proust  
Un point de vue personnel  
de
Paul Dubé  
(et Copernique Marshall)

--> Dernière révision :  15 mai 2022 <--


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 Léon Pierre-Quint - Marcel Proust, sa vie, son oeuvre - Édition du Sagittaire

Préface de 1925

En publiant dans une revue il y a quelques années un article sur Marcel Proust, je fus obligé de choisir arbitrairement dans son oeuvre quelques aspects particuliers et d'en négliger d'autres que je savais essentiels. Je limitais mon sujet. Depuis j'ai souvent voulu le reprendre et le compléter par un second article. J'ai attendu. Chaque nouveau livre de Proust m'apportait une émotion neuve, comme celle que l'on éprouve aux tournants d'une route en lacets, en découvrant une chaîne de montagnes. Mon second article est devenu... un volume de trois cents pages.

Et cependant je n'ai pas la prétention de le croire complet. Après onze tomes déjà lus d'A la Recherche du Temps Perdu, j'ai toujours l'impatience de connaître la suite. Mme Verdurin va-t-elle entrer dans l'aristocratie et devenir duchesse ou princesse ? La petite Gilberte des Champs Elysées, qui épousera-t-elle ? Quelle surprise le nouvel aspect de Saint-Loup doit-il m'apporter ? Je pense que la fin de cette longue épopée moderne, imprévisible comme la vie, m'obligera peut-être à mettre au point, pour moi-même, certains de mes jugements. Mais je ne suppose pas qu'elle me ferait rien changer d'important dans mon étude.

J'ai voulu principalement prendre de l'oeuvre de Proust une vue d'ensemble ; l'envisager comme un système fermé, qui constitue un tout. Et quoique les trois quarts seulement de cette oeuvre aient paru, ma tentative ne me semble pas prématurée. L'ensemble que nous connaissons est arrivé à un point de développement tel que nous saisissons l'harmonie de ses vastes proportions. Nous sentons que tout se tient. Nous savons que les épisodes obscurs du début s'éclairent à la lumière des suivants. Sans attendre la publication du Temps Retrouvé, dès maintenant nous embrassons l'oeuvre dans un seul jugement, comme un visiteur devant une cathédrale aux tours inachevées recule de quelques pas et comprend dans son regard l'ensemble architectural.

Cependant je tiens à le repeter : à l'origine, je n'ai songé qu'à noter la joie, l'angoisse que m'apportaient les livres de Marcel Proust. La lecture, qui n'est souvent qu'une distraction, une manière de « passer le temps », ou qu'un devoir qu'on s'inflige, m'a donné quatre ou cinq fois dans la vie une de ces grandes émotions, avec Du Côté de chez Swann par exemple, qui vous frappent pour toujours. A mesure que les livres suivants paraissaient, je comprenais qu'une oeuvre d'art, comme il y en a quelques-unes seulement par siècle, était née et j'éprouvais à certains moments comme un écrasement, un tremblement intérieur, une ivresse. Ce sont ces impressions que j'ai cherchées à exprimer.

Bientôt j'ai voulu les comparer à celles des amis de Proust pour mieux connaître l'homme qu'il fut. J'ai élargi mon sujet et j'en ai été heureux : cette documentation vivante (*) n'a fait qu'augmenter encore mon admiration pour ce douloureux génie.

(*) Je témoigne ici ma gratitude au Dr Robert Proust, à la mémoire de Jacques Rivière, à MM. Brunschwicg, Fernand Gregh, Henri de Régnier, Jacques-Émile Blanche, Frédéric de Madrazo, Albert Flament, le prince Antoine Bibesco, Reynaldo Hahn, René Blum, Robert de Fiers, Constantin Ulimann, Jean Cocteau, Paul Morand, Edmond jaloux, Paul Brach, Faure-Biguet, Georges de Traz, Jacques Truelle, Jacques Benoît-Méchin, Louis Serpeille de Gobineau et à tous ceux qui m'ont renseigné avec tant d'affabilité et qui m'ont tellement facilité mon travail.

Ainsi j'ai commencé cette étude par l'esquisse d'une biographie. La même signification s'en dégage que de son oeuvre. D'un côté, j'ai fait ressortir le sens de cette vie magnifique. De l'autre, j'ai retracé d'après ses livres son univers. Ici, nous voyons successivement Marcel Proust dans le « temps perdu » et dans le « temps retrouvé », dans sa vie mondaine puis dans sa retraite, dans l'art et la gloire. Là, nous apprenons à connaître ses idées sur le « temps perdu » et sur le « temps etrouvé », sur les salons, l'amour et sur l'esthétique.

Entre ces deux parties, qui s'équilibrent et se complètent, j'ai placé - chapitres nécessairement beaucoup plus abstraits - l'étude technique de l'ceuvre, qui explique l'apport nouveau de l'écrivain, l'originalité essentielle de sa méthode. C'est la clef de voûte de ce livre (*). Je parle de la composition alternée de Proust, du rythme de ses thèmes, des thèmes de l'évolution et de l'inconscient, de ce que l'auteur nous dit du sommeil, des rêves, des souvenirs, de sa méthode d'exploration en profondeur, de son style approprié à cette méthode, du vieillissement de ses personnages et de la manière dont ils posent le problème de la personnalité.

(*) Cependant, pour les lecteurs qui visitent Paris en huit jours et Venise en trois, un Baedeker spécial leur conseillerait s'ils sont trop pressés ou s'ils la trouvent trop fatigante, de sauter cette partie centrale et de passer directement à la suivante.

Ainsi j'ai divisé naturellement mon livre en trois parties : la vie, l'oeuvre et l'univers de Marcel Proust. En appendice, j'ai placé quelques-uns des documents dont je me suis servi et que je n'ai pu faire figurer au cours de mon ouvrage : des fragments de la correspondance (encore inédite) de Marcel Proust et une bibliographie sommaire.

L. P.-Q.


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