Aussi brillante que fut sa carrière médicale, le
Docteur Samuel-Jean Pozzi
est surtout connu aujourd'hui pour peut-être avoir servi de modèle du Docteur Cottard dans "À la recherche du Temps perdu" (de Marcel
Proust).
(À noter : ne pas confondre ni le Docteur
Pozzi, ni le personnage de Proust avec le Docteur
Eugène Cottard (1873-1955) dont la carrière s'est déroulée en majeure
partie au Liban. - On notera par ailleurs un autre personnage du nom de Cottard
dans La Peste d'Albert Camus. - Quant au site Proust-Personnages
le nom de Jules Cotard, neurologue, est également mentionné en tant que
modèle possible du personnage proustien.)
Familier du Docteur Adrien Proust , le père de Marcel et de Robert, Pozzi faisait partie de cette société de la fin du XIXe et du début du XXe qui comprenait
Madeleine Lemaire, Madame Strauss, la princesse Mathilde, Montesquiou, Madame Aubernon, etc.
(Il est le médecin des Rotschild, d'Anatole France, d'Yturri, etc. - C'est un fin lettré, un collectionneur. - Il est celui dont John Sargent a peint sa
fameuse toile, Pozzi, chez lui (notre photo), aujourd'hui au Armand Hammer Museum of Art, à Los
Angeles.)
Nous disons peut-être car le seul à s'être acharné à vouloir faire de lui l'unique ou presque modèle de Cottard fut Painter :
Dans son "Marcel Proust", il le décrit, en effet, comme suit :
"[c'est chez Mme Aubernon] que Proust connut un médecin comme Cottard, un pédant comme Brichot et un inverti comme Charlus et il ne les rencontra pas
seulement au cours de ses réceptions parisiennes mais dans le petit train conduisant à sa maison de campagne.
"Le médecin était le docteur Pozzi [1], que nous avons déjà
vu chez Madame Strauss et chez la princesse Mathilde et qui avait donné au lycéen Proust son premier dîner en ville [2].
Il était, dit Léon Daudet, "pommadé, bavard et vide". Il ressemblait à Cottard, qui était "le plus infidèle des maris" en ce sens que ses
"flirts" avec ses clientes étaient célèbres. Madame Aubernon l'avait surnommé, selon la pièce de Molière, L'Amour Médecin. Il était fier d'être un bel homme, mais ses talents
de chirurgien étaient discutés. "Je ne lui confierais pas mes cheveux, surtout s'il y avait là une glace" disait Léon Daudet. Sa femme, qui était une parente du docteur Cazalis
(l'original de Legrandin), ressemblait à la bonne Mme Cottard, toute à ses devoirs d'épouse : Mme Aubernon l'avait surnommée "la muette de Pozzi". Il la consolait de ses
infidélités en lui disant : "Je ne vous ai pas trompée, ma chère, je vous ai complétée." Son principal amour était une dame qui vivait en Belgique, et lorsqu'il paraissait
surmené et abattu, Mme Pozzi [lui] disait timidement : "Mon ami, vous avez besoin de changer d'air, allez vous promener un peu à Bruxelles !" C'était le médecin le plus
en vogue dans la haute bourgeoisie [...] cependant le docteur Pozzi avait également des amis dans le Faubourg, comme Montesquiou lui-même."
(Mercure de France, 1966).
Avant Painter, Pozzi n'avait été qu'une vague relation des Proust :
André Maurois dans son À la recherche de Marcel Proust, ne le mentionne nullement (Hachette, 1949)
Pour Léon-Pierre Quint (Marcel Proust, sa vie, son oeuvre), c'est un personnage sans importance (Le sagittaire, 1946)
Et après Painter, il redevient un médecin comme les autres [3] :
Serge Béhar, le premier à décrire en détails Cottard ne mentionne nullement le Docteur Pozzi dan son Univers médical de Proust (Cahiers
Marcel proust 1, Gallimard, 1970).
Kolb (Correspondance 1970-1993) n'en fait guère cas.
Céleste Albaret (Monsieur Proust) qui, pourtant sait tout, ne le mentionne qu'en rapport avec Robert, son assistant. Et une fois seulement
(Laffont, 1973).
Pozzi ne figure pas parmi les relations de Proust dans le Quid de Laffont (1987).
Ghislain de Diesbach (Proust) le traite en accessoire : premier dîner de Marcel (et Robert) en ville, au chevet de Yturri, à l'enterrement de
Madame Proust, à une soirée donnée par Montesquiou et quelques autres détails.. (Perrin, 1991).
Michel Erman (Marcel Proust) en fait une connaissance du Docteur Adrien Proust, célèbre pour ses études sur le cerveau et traducteur de
Darwin (sic) (Fayard, 1994).
Jean-Yves Tadié (Marcel Proust) attend à sa 794e page pour mentionner que c'était un modèle de Cottard, personnage falmboyant (deux
lignes) (Gallimard, 1996).
Mieux encore, dans Le grand livre de Proust, le médecin et historien de la médecine qu'est Jean-François Lemaire insiste sur le fait que le flamboyant
(encore) Pozzi ne peut en aucun cas être assimilé à Cottard (Les Belles Lettres, 1996).
Réhabilitation du Docteur Pozzi (car on a beau être sympathique, Cottard...) ? ou serait-ce qu'on commencerait à comprendre que les personnages de Proust sont
imaginaires et créés à partir de six ou sept personnages différentes ?
[1]
Painter oublie que Pozzi était un familier des Proust et qu'il allait régulièrement dîner chez eux.
[2]
Les Pozzi habitaient alors un appartement au 10 Place Vendôme.
[3] Il faut faire attention aux auteurs qui accolent automatiquement le nom de Cottard à Pozzi (ou vice versa)
après
Painter car la plupart ne font que le citer. Ex. : William Howard Adams, En souvenir de Marcel Proust, La Bibliothèque des Arts, 1984.