James
Joyce
Les morts
(The Dead)
Extrait (et traduction)
d'un conte tiré de :
«Gens de Dublin» («The Dubliners»)
Grant Richards Limited, London - 1914
Les morts
«Des larmes coulèrent de ses
yeux, et dans la pénombre il crut voir la forme d’un jeune homme
debout sous un arbre, lourd de pluie. D’autres formes
l’environnaient. L’âme de Gabriel était proche des régions où
séjourne l’immense multitude des morts. Il avait conscience, sans
arriver à les comprendre, de leur existence falote, tremblotante. Sa
propre identité allait s’effaçant en un monde gris, impalpable :
le monde solide que ces morts eux-mêmes avaient jadis érigé, où
ils avaient vécu, se dissolvait, se réduisait à néant.
«Quelques légers coups frappés contre la vitre le firent se
tourner vers la fenêtre. Il s’était mis à neiger. Il regarda dans
un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres tomber obliquement
contre les réverbères. L’heure était venue de se mettre en voyage
pour l’Occident. Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale
en toute l’Irlande. Elle tombait sur la plaine centrale et sombre,
sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière
d’Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les
vagues rebelles et sombres du Shannon. Elle tombait aussi dans tous
les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait
enseveli. Elle s’était amassée sur les croix tordues et les
pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les
broussailles dépouillées. Son âme s’évanouissait peu à peu
comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tout
l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les
vivants et les morts.»
*
The Dead
«Generous tears filled Gabriel's
eyes. He had never felt like that himself towards any woman, but he
knew that such a feeling must be love. The tears gathered more thickly
in his eyes and in the partial darkness he imagined he saw the form of
a young man standing under a dripping tree. Other forms were near. His
soul had approached that region where dwell the vast hosts of the
dead. He was conscious of, but could not apprehend, their wayward and
flickering existence. His own identity was fading out into a grey
impalpable world: the solid world itself, which these dead had one
time reared and lived in, was dissolving and dwindling.
«A few light taps upon the pane made him turn to the window. It
had begun to snow again. He watched sleepily the flakes, silver and
dark, falling obliquely against the lamplight. The time had come for
him to set out on his journey westward. Yes, the newspapers were
right: snow was general all over Ireland. It was falling on every part
of the dark central plain, on the treeless hills, falling softly upon
the Bog of Allen and, farther westward, softly falling into the dark
mutinous Shannon waves. It was falling, too, upon every part of the
lonely churchyard on the hill where Michael Furey lay buried. It lay
thickly drifted on the crooked crosses and headstones, on the spears
of the little gate, on the barren thorns. His soul swooned slowly as
he heard the snow falling faintly through the universe and faintly
falling, like the descent of their last end, upon all the living and
the dead.»
(The Dead - The Dubliners)

Donal McCann et
Agelica Huston
Photo tirée du film «The Dead»
de John Huston (1987)
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