J'ai commencé jadis cette
étude pour exprimer ma reconnaissance à l'auteur, pour mettre au point,
en quelque sorte, mes rapports personnels entre ses livres et moi. C'est
dire qu'à l'origine, ce n'est pas en critique littéraire que j'ai abordé
son oeuvre, mais qu'au contraire, c'est mon étude sur cette oeuvre qui
m'a amené à la critique.
Puis, lorsque j'ai pu
disposer d'un certain éloignement dans le temps, j'ai voulu juger
l'ensemble de ce vaste roman-confession. C'est alors que les réimpressions
successives de ce présent ouvrage m'ont permis de le compléter par une
nouvelle étude : Le Comique et le Mystère chez Proust. J'y ai
analysé la psychologie de l'auteur comme d'autres ont analysé celle d'un
Stendhal ou d'un Balzac, estimant que Proust avait désormais sa place,
dans la littérature française, à côté des plus grands romanciers.
A présent, dix années se
sont écoulées. Je suis frappé par l'attitude du public, même cultivé,
qui semble se désintéresser d'un écrivain pour lequel il s'est passionné.
Certes, après tout engouement une réaction devient fatale. Mais je me
suis demandé si le recul actuel de l'ceuvre de Proust ne correspond pas
à un recul général, dans notre société, de l'art lui-même, dont
l'importance paraît diminuer chaque jour, surtout depuis la «crise».
Recul passager sans doute. C'est pour m'efforcer d'élucider cette
question que j'ai relu A la Recherche du Temps Perdu, et que j'ai été
amené à confronter d'anciens souvenirs aux impressions de ma relecture.
La présente réédition de cet ouvrage se trouve ainsi augmentée encore
de deux chapitres : Une nouvelle lecture dix ans plus tard ; - Proust
et la jeunesse d'aujourd'hui.
Enfin j'ai ajouté des
Remarques sur les derniers mois de la vie de Proust, parues jadis en
revue, et que Paul Souday m'avait, à ce moment-là, conseillé de joindre
au présent volume (*).
(*) Les premières éditions
comportaient, en appendice, un texte qui n'y figure plus : une
bibliographie sommaire, qui, développée et complétée par d'autres
documents, a fait l'objet d'un ouvrage séparé : Comment travaillait
Marcel Proust (Editions des Cahiers Libres). D'autre part les passages
des lettres de Proust, qui sont placés à la fin du présent volume,
sont extraits d'une correspondance, qui a paru, complète, en un ouvrage
séparé, accompagnée de commentaires et sous le titre de : Lettres de
Proust à Léon Blum, Bernard Grasset et Louis Brun (Éditions du
Sagittaire).
Tel quel, celui-ci présente
quelques répétitions et même peut-être d'apparentes contradictions.
Mais j'ai décidé de ne retoucher à aucune de ses parties. S'il manque
d'unité, il prouve au moins qu'une ceuvre comme celle de Proust n'a cessé
de rester vivante dans la durée, puisque chaque nouveau contact avec elle
m'a permis de l'envisager sous un angle de vue différent, d'y trouver des
réponses à des problèmes d'actualité, de la rattacher aux
circonstances du moment. Et sans doute les générations de l'avenir y découvriront
encore des aspects inédits, correspondant à leurs propres préoccupations...
Au demeurant, je ne veux
pas exagérer la diversité des jugements exposés dans ce livre. Sans
doute, ils reposent sur une conception de la vie qui a évolué, et qui,
notamment, attribue aujourd'hui autant de valeur et d'intérêt à la société
qu'à l'individu. Certaines perspectives se trouvent, de ce fait, déplacées.
Cependant, et je le prévoyais dans ma première Introduction, mon point
de vue fondamental sur l'oeuvre de Proust envisagée en elle-même, ne
s'est guère modifié. C'est pourquoi je considère désormais cet ouvrage
comme achevé.
L. P.-Q.